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Économie symbiotique : la force du bien commun

Benjamin Combs/Unsplash.com
credit cooperatif Economie humaine
Claire Sejournet
Claire Sejournet
Mis à jour le 25 février 2021
Auteure, journaliste, scénariste, spécialiste du développement durable… Isabelle Delannoy a mille et une vies professionnelles, mais un seul objectif : mobiliser les consciences sur l’urgence de la crise écologique avant qu’il ne soit trop tard.

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Choisir une formation d’ingénieure agronome fut une évidence pour Isabelle Delannoy. "J’ai toujours voulu orienter ma carrière de manière à faire avancer mes convictions, assure-t-elle. J’ai étudié le vivant, la mécanique et le territoire, mais aussi la sociologie et les sols. C’était passionnant et totalement en accord avec mes aspirations."

Activiste, mais pas militante, Isabelle Delannoy a une peur, la violence, surtout si elle est le fruit de l’implosion de la société. Longtemps elle a cru que la solution serait politique, et elle s’est passionnée pour le trio politique-média-écologie. L’échec de la COP 15 à Copenhague en 2009 lui a fait l’effet d’une douche froide : "Je me suis rendu compte que le roi était nu. Ce n’est plus le politique qui décide, c’est l’économique. Or, l’économie n’est pas démocratique." Du jour au lendemain, la question politique ne l’intéresse plus : "Je me suis tournée vers les territoires où l'on voyait des solutions, les territoires locaux. Et là j'ai vu qu'il y avait une nouvelle économie qui avait émergé."

Changer le cadre de réflexion
C’est dans l’étude de la mythologie, c’est-à-dire de la vision que l’homme a de lui-même dans l’univers, qu’Isabelle Delannoy a trouvé des éléments solides pour porter ses recherches. "La crise écologique nous montre que l'on s'est trompés dans notre vision du monde, assure-t-elle. Finalement, l'homme n'est pas plus puissant que la planète."
Adieu mythologie prométhéenne, qui plaçait l’homme au centre, place à la mythologie géocentriste, qui met la Terre au centre : "On a compris que l'action de l'homme bouleverse les équilibres et que l'on fait partie du vivant, on n'en est pas à part."
L’anthropologue Claude Lévi-Strauss a montré que les Occidentaux refusent d’avoir une mythologie. Pourtant, c’est à travers ce prisme que découle une façon d'appréhender le monde : philosophies, questionnements scientifiques et interrogations spirituelles.
Aujourd’hui, les mentalités évoluent, notamment sous l’influence des créatifs culturels. Ce groupe social sans conscience de classe a été remarqué pour la première fois dans les études sociologiques dans les années 1960. Porté par des valeurs féminines (sensibilité à l’écologie, coopération, implication dans la communauté, spiritualité...), il n’a cessé de grandir. S’ils étaient 4 % de la population adulte lors de la découverte du groupe, les créatifs culturels représenteraient aujourd’hui 20 à 40 % de la population. Leur credo ? Prendre soin de soi, de la planète et des autres.
"Les créatifs culturels créent des initiatives localement et sont des consommateurs différents, pointe Isabelle Delannoy. Ils ont un autre rapport au monde et à eux-mêmes. Ils ne réfléchissent plus dans un cadre prométhéen. Du coup, ils ont un autre rapport à la société et ont envie de la faire bouger."

D’une économie extractive à une économie régénérative
L’économie symbiotique, telle que la présente et la défend Isabelle Delannoy, est justement pensée comme un nouveau cadre théorique d’analyse économique identifiant la structure de fonctionnement commune à ces nouvelles approches et conçu sur la volonté d’assurer un cadre solide d’analyse au développement durable.
Fondée sur trois piliers – le vivant, l’humain et la technologie –, cette économie a pour ambition de créer un cadre où l’humain et les écosystèmes vivent en symbiose. Chaque pilier nourrit les autres et s’appuie sur eux pour gagner en efficacité : "L'information traduite par les hommes rend la technique ultra-efficiente, tandis que la technique des machines rend l'intelligence collective des hommes et les écosystèmes encore plus puissants", résume Isabelle Delannoy. Un mot-clé : la régénération, qui nous fait quitter l’ère de l’économie extractive.

Nombreux sont les modèles d’application déjà existants. Ils sont apparus dans tous les domaines. La permaculture, modèle symbiotique très abouti, met en valeur le naturel mais s’appuie sur d’importantes connaissances et techniques pour déployer sa pleine capacité. Le Web, dans sa structure originelle, s’appuie sur les connaissances des uns pour développer celles des autres et ainsi multiplier les échanges et les progrès. L’économie de la fonctionnalité (on n’achète plus une machine, on loue son utilisation) est également une piste : l’obsolescence programmée n’a plus de sens, on recycle au lieu de jeter.
Pour parler de ce cadre théorique positif, Isabelle Delannoy aime utiliser la métaphore des coraux : "Les coraux ont réussi à construire un réseau vivant extrêmement dense dans un environnement à l’origine hostile au développement de la vie. C’est ce que nous devons réussir à faire dans nos villes. Quand on dit que l'homme doit retourner à la terre, que l'on doit tous redevenir paysans, je n'y crois pas du tout. Ce sont les villes qui doivent retourner à la terre : créons des jardins partagés, des terrasses vertes… Il peut y avoir des agriculteurs urbains, mais il faut laisser s’exprimer la diversité créative humaine, ce qui passe par l’exercice de métiers très différents."

Une nouvelle valeur : le Commun
Le secret de la transition réussie réside en un mot : les "Communs". C’est la création de centres d’intérêts concrets communs, qui permettra de régénérer le tissu social et de dynamiser l’économie. Cette forme d’économie est ancienne : autrefois, on partageait les moulins, les puits, les forêts… Aujourd’hui, on a déjà commencé à recréer des Communs, notamment via Internet : Google et Facebook ne valent que par l'implication, passive ou active, des utilisateurs. "Le système est contributif, pointe Isabelle Delannoy. Mais le problème réside dans le fait que les Communs ne sont pas possédés et gouvernés par leurs contributeurs. Ils deviennent alors prédateurs de leurs contributeurs."  

Cette économie s’inscrit aussi concrètement dans les territoires, qu’il s’agisse de partager localement des informations locales (développement des smart cities, c’est-à-dire l’utilisation des données publiques récoltées pour proposer un nouveau service ou un meilleur service) ou de créer des infrastructures communes (notamment énergétiques, comme les éoliennes, mais aussi les jardins partagés ou les monnaies locales). "Il y a désormais des systèmes économiques territoriaux, remarque Isabelle Delannoy. D’ailleurs, il se développe un tourisme de ville pour aller voir les systèmes innovants mis en place par d’autres pour s’en inspirer."

Le moteur du vivre-ensemble devient le fait d'avoir créé ensemble un Commun productif. Il y a donc une communauté d'intérêt et de valeur. On touche ici à la question de la gouvernance, qui est un point crucial. Il ne s’agit pas de s’investir partout, mais de faire sa part, en sachant que d’autres citoyens font de même dans d’autres communautés de Communs. "À l’échelle d’une ville, c’est déjà un écosystème d’écosystèmes qui fleurit, s’enthousiasme Isabelle Delannoy. Et chaque ville est à son tour reliée à d’autres villes. On sort de la mondialisation déconnectée pour tisser des liens plus forts et plus concrets."

N’allez pas croire qu’intégrer un ou plusieurs écosystèmes locaux vous lie pieds et poings à la communauté jusqu’à votre dernier jour. La grande différence avec les formes traditionnelles de communautés, c’est l’existence de la monnaie et la résurgence des monnaies complémentaires. En offrant la possibilité de compter le tribut que l’on apporte à la communauté, elle permet aussi de gagner sa liberté. Lorsqu’il faudra rendre des comptes, si l’on veut partir par exemple, on pourra s’appuyer sur un bilan chiffré. "Je crois fermement en la liberté de l’individu, affirme Isabelle Delannoy. À travers le système des Communs installé dans un cadre monétaire, on crée une inter-indépendance : ce que crée le Commun permet l’indépendance de choix pour chaque individu."

De nombreuses graines ont déjà été semées dans la construction de cette nouvelle société. "On vit une époque incroyable, prévient Isabelle Delannoy. Notre civilisation industrielle s'effondre, une autre est en train d’émerger. Ma plus grande inquiétude, c’est que l’implosion de la société actuelle souffle celle qui émerge. Nous sommes en pleine métamorphose et ce n'est pas gagné du tout."  Une chose est sûre : "On ne peut pas négocier avec la crise écologique. Elle est réelle et nous met dans l’urgence. Il est trop tard pour réagir, il faut réussir."

Pour aller plus loin :
L'économie symbiotique
Isabelle Delannoy
Éditions Actes Sud
22 €

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