Partenaire
Inspirer, Faire du bien

Chef cuisinier

Alain Passard : "J'ai confié ma créativité à la nature"

Alain Passard en cuisine, photo de Pauline Le Goff
Pauline Le Goff
Anne Ghesquière
Anne Ghesquière
Mis à jour le 25 février 2021
A la tête du restaurant Arpège, Alain Passard a donné ses lettres de noblesse aux légumes. Les trois potagers qu'il a fondés alimentent chaque matin les cuisines du restaurant, dont la carte change naturellement au fil des saisons. Car ce grand chef n'a qu'un seul credo : il faut respecter la nature dans notre assiette !

Partenaire

D'où vous vient votre passion culinaire ?
J'ai eu la chance de naître dans une famille où la main était partout : ma grand-mère adorait la cuisine, mon grand-père était sculpteur, ma mère était passionnée de couture et mon père était musicien. J'ai grandi en les voyant toujours à l'ouvrage avec leur main. Très vite, je me suis dit que moi aussi, je voulais utiliser mes mains. J'aurais adoré être musicien ou couturier, mais finalement, c'est la cuisine qui s'est imposée à moi. J'ai décidé de devenir cuisinier quand j'avais 14 ans.

Avez-vous un don particulier en cuisine ?
On peut avoir une certaine facilité, liée à la passion. Mais on n'est rien sans le travail. Pour moi, le don, c'est surtout le fait de ne pas rentrer dans la lassitude, de garder toujours cet enthousiasme, cette joie de vivre, de pratiquer, de cuisiner.

Vous sentez-vous le pionnier d'une génération vegg' ?
Dans les années 1980-1990, le restaurant l'Arpège, c'était avant tout la rôtisserie. A la fin des années 1990, j'ai eu rendez-vous avec les légumes, que j'ignorais totalement jusqu'alors. Nous avons été les premiers à nous lancer et tout le monde y voyait à l'époque un danger. L'Arpège était étoilé, nous avions nos clients... Et voilà qu'un beau jour, je décide de changer toute ma carte, toute ma cuisine ! J'ai acheté deux potagers, j'ai embauché des jardiniers et j'ai ouvert le grand livre écrit par la nature. J'ai découvert ce qu'étaient les saisons. En fait, nous étions en avance.

Qu'est ce qui a provoqué cette "soudaine" démarche légumière ?
En cuisine, toute l'année, je travaillais avec les mêmes goûts, les mêmes parfums, les mêmes visuels. L'ennui me guettait. De plus, j'ai réalisé que nos sens étaient en train de s'affaiblir. A manger la même chose toute l'année, nous ne réalisons plus ce que nous mangeons. Regardez les étales des marchés : les quatre saisons sont présentes toute l'année ! Il fallait arrêter de penser à avoir des tomates toute l'année dans la cuisine. Si la nature a fait les saisons, c'est bien pour que la main qui cuisine ne puisse pas se lasser, qu'elle soit différente au fil de l'année. On n'a pas la même main l'été avec une tomate et l'hiver avec un céleri-rave. D'ailleurs, c'est ce qui permet de garder sa créativité.

Aujourd’hui, vous pouvez dire que vous avez trouvé votre voie ?
Mes jardins m'ont sauvé la vie ! Ils ont sauvé mon envie de cuisiner. Il y a 15 ans, j'étais perdu et épuisé. Dans un jardin, il y a 20 à 25 produits par saison. Lorsque l'on ne respecte pas ce rythme, on se retrouve avec 100 produits en continu dans la cuisine. Mais on ne peut rien faire de bon, ça n'a aucun sens de mélanger les légumes d'été avec ceux d'hiver !

Quelle fierté tirez-vous de vos jardins potagers ?
Mes jardiniers et jardinières, car c'est grâce à eux que l'on peut faire la cuisine de l'Arpège aujourd'hui, que l'on a cette cuisine qui se renouvelle sans cesse. Chaque matin, nous avons des légumes qui sortent de terre et qui ne passeront pas une minute au réfrigérateur ! Grâce aux jardiniers, nous avons la diversité. Parfois je les mets au défi, en leur expliquant par exemple que j'ai besoin d'une courgette légèrement herbacée ou d'un poivron aux tonalités florales...

Vous dites que "jardinier est le métier de demain" ?
Il y a quarante ans, on ne parlait pas des vignerons. Aujourd'hui, on les considèrent comme des artistes. Mais pas un mot sur les jardiniers ! Ce sont des artistes oubliés. A nous de les mettre en valeur selon ce qu'a écrit la nature, la beauté du geste au jardin est aussi forte que celle du geste en cuisine.

La viande est toujours présente dans la carte de l'Arpège...
Bien sûr ! J'ai trouvé récemment une recette extraordinaire autour de la volaille. Nous sommes dans un pays où les gens aiment le tissu animal. Je m'entoure d'éleveurs responsables, dont j'apprécie la façon d'élever les bêtes. J'ai une passion pour les légumes, mais je ne suis pas végétarien.

Quels sont vos défis pour 2015 ?
Même si nous nous sommes lancés dans l'aventure il y a 15 ans, nous sommes toujours dans l'apprentissage des légumes. Chaque saison rajoute une page à notre cahier de recettes. Il faut éduquer nos sens à être toujours plus délicats, subtils dans la créativité. En 2015, nous allons nous jeter à bras ouverts dans le sauvage, c'est-à-dire tout ce que l'on trouve dans le jardin mais que l'on ne regarde pas : fenouil sauvage, oseille sauvage... Je souhaite aussi approfondir notre connaissance du champignon. Son côté forestier est une source d'inspiration.

Justement, où puisez-vous votre inspiration ?
C'est bien simple, j'ai confié ma créativité à la nature. C'est elle qui fait ma cuisine. Grâce à nos jardins potagers, j'ai découvert une chose : si vous respectez ce qui arrive à maturité dans un jardin au même moment, vous aurez de formidables alliances en cuisine. Par contre, si vous mélangez les saisons dans votre casseroles, ça va déraper. C'est pour cela que je suis serein lorsque le panier du jour arrive en cuisine le matin et que je peux dire aux garçons "Allez-y !". Il y a des jeux de couleurs, de parfums, qui vont fonctionner tous seuls, car la nature y a pensé.

La nature, ce sont aussi des fleurs. Et vous aimez en mettre dans les assiettes !
Pour la plupart d'entre nous, lorsque l'on pense aux fleurs, on se dit que ça se regarde, ça ne se mange pas. Les gens n'ont jamais été habitués à en manger. Personnellement, j'aime bien en mettre dans ma cuisine. Je privilégie la capucine, la bourrache, le géranium, la fleur de sauge et celle de cassis.

Un repas de fête réussi, pour vous, ce serait...
J'adore le céleri-rave. Donc j'imagine bien un gratin dauphinois où je remplacerais les pommes de terre par du céleri-rave. J'ajouterais des brisures de marrons préalablement grillées. Le tout serait bien doré au four grâce au parmesan. Ce gratin accompagnerait un bon chapon à la broche. C'est délicieux. Je ne ferais pas de dessert, mais une bûche au fromage, autrement dit une génoise avec du roquefort, le tout accompagné d'un bon porto. J'aime bien finir avec une note un peu salée et pour ceux qui aiment le sucré, il y a toujours des mignardises qui gravitent autour des tables de fêtes !

 

Pour un meilleur confort de lecture, retrouvez cet article dans notre mensuel iPad !

Découvrez FemininBio Magazine en version papier ou PDF ! Achetez nos éditions depuis notre boutique en ligne.

Partenaire

Vous aimerez peut-être

Coups de cœur

Chaque semaine, des partages conscients et inspirants dans votre boîte mail.

Inscrivez-vous gratuitement !

Partenaire