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Bilan et perspectives sur la pédagogie Montessori avec André Roberfroid, président de l’AMI

Mis à jour le 25 février 2021
André Roberfroid préside l’Association Montessori Internationale (AMI) depuis 2004, il vient de préfacer le livre Apprends-moi à faire seul, la pédagogie Montessori expliquée aux Parents.  Il nous montre qu’une autre approche éducative est possible, qui a été expérimentée depuis plus d’un siècle avec succès, et nous invite à « imaginer un monde où les jeunes atteignent l’âge adulte confiants en leurs talents, socialement intégrés, stimulés par les difficultés et débordants de créativités ! »

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Bilan et perspectives sur la pédagogie Montessori avec A. Roberfroid, président de l’AMI

Vous avez travaillé à l’UNICEF toute votre carrière, comment avez-vous rencontré la pédagogie Montessori ?
Ce qui m’a permis de rencontrer la pédagogie est une valeur commune à l’UNICEF et à Montessori : le rapport au concept des droits de l’enfant. Quand j’étais à l’UNICEF on s’est beaucoup battu pour aboutir à la signature de la Convention internationale des droits de l’enfant, c’est vraiment central à mon engagement avec l’UNICEF. Et lorsque j’ai rencontré les gens de Montessori j’ai trouvé que la mise en œuvre de toute leur conception de l’éducation était effectivement basée sur le respect des droits de l’enfant.  Cela correspondait bien à l’engagement que j’avais eu toute ma vie. C’était aussi pour moi une façon de corriger une forme d’échec que nous avions eu à l’UNICEF car si on a réussi beaucoup de choses sur la santé publique, nous n’avions été pas assez performants  sur l’éducatif et j’ai vu là une façon de corriger cet échec relatif.

Qu’est ce que la pédagogie Montessori ?
Le mieux est de lire le livre Apprends-moi à faire seul qui est très bien écrit ! En quelques mots la pédagogie repose sur 3 fondements :
  • Le libre choix d’activités, c'est-à-dire de placer l’enfant dans un environnement qui lui permet, en fonction de ses talents, à un moment donné,  de choisir ses activités. Cela va lui permettre de développer ses propres capacités, donc le libre choix.
  • De mettre ensemble des enfants d’âges différents car cela créé une communauté éducative dans laquelle  les rapports des uns aux autres sont des rapports positifs d’entraide.
  • Et enfin le plus important : la modification fondamentale du rôle de l’enseignant qui est d’observer l’enfant et de l’aider à se développer lui-même; l'enfant est ainsi l'acteur de sa formation.
La technique ensuite, très exigeante, va permettre de mettre en œuvre cette démarche vers le succès.  Si on n’a pas ces 3 principes on n’est pas dans Montessori.

C’est pour cela que Maria Montessori parlait « d’éducateur « et non « d’instituteurs » ?
Oui on parle d’une démarche éducative et non pas d’instruction.  Autrefois en Europe, on disait « ministre d’instruction publique ». Maintenant on a compris que l’enfant n’est pas un tonneau vide que l’on rempli de la science du maître mais un instrument complexe qui a besoin d’être aidé à se développer  par  sa confrontation avec son environnement.

Quel bilan tirez-vous de plus d’un siècle d’expérience Montessori puisque la première école a été ouverte en 1907 ?
En 1907, Maria Montessori (qui était la première femme médecin en Italie) n’était pas connue et sa première école a été ouverte dans une banlieue défavorisée de Rome. En quelques années cela a fait le tour du monde (et pourtant les médias de l’époque n’étaient pas ceux d’aujourd’hui). Entre 1907 et 1917 il y avait des écoles et des éducateurs Montessori dans pratiquement tous les pays du monde.  C’est parti comme un feu de brousse ! Cela montre qu’il y avait un besoin très fort d’une approche différente de l’éducation. Nous étions aussi au moment où l’on commençait à parler des droits de l’enfant et à reconnaitre que l’enfant n'était pas un réceptacle vide, mais qu’il était une personne humaine. C’était aussi une époque favorable car l’éducation se répandait dans toutes les classes de la société. Il y a donc eu un engouement très fort pour cette méthode qui avait des résultats très efficaces notamment pour l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Cela s’est poursuivi jusqu’aux années 20. Puis ensuite il y a eu une opposition du système traditionnel car la méthode Montessori remet en cause un des fondements même du système conventionnel qui est le rapport de force  entre le maitre et l’élève et entre les adultes et les enfants. Aux Etats-Unis puis en Europe les oppositions se sont organisées pour freiner le développement d’une démarche qui mettait en cause ce qui était perçu comme des fondements sociaux très importants et avec des implications en termes politique qui était vues comme dangereuses. Surtout en période d’expansion du fascisme en Europe. Mussolini a très vite interdit cela. C’est pour cette raison que Maria Montessori s’est retrouvée en Inde, puis en Espagne etc. Cette opposition a perduré jusqu’après la guerre. L’approche s’est ensuite vue réservée aux classes favorisées de la société et c’est encore le cas maintenant, malheureusement. Il y a donc une déviation d’avoir été appropriée par les classes dominantes.

Comment peut-on alors entrer dans un système d’éducation publique et non réservé à une élite ?
On se bat pour cela depuis 15 ans, pour le faire accepter par le système d’éducation publique. En Angleterre, en Hollande, aux USA, en Italie on y arrive. Toucher à cela en France… ce n’est pas un pays où  les choses sont faciles, c’est une action à très haut risque de toucher à l’éducation nationale ! Les pays émergeant sont en train de prendre le relai : Inde, Chine, Asie, Thaïlande, Mexique, Australie, Japon. Tous ces pays sont en train de s’apercevoir que l’éducation étant la ressource la plus importante de leur avenir, il leur importe de la réussir. Et puis,  ils n’ont pas les pesanteurs du passé que nous avons, persuadés que nous sommes que notre succès est dû à la valeur de nos écoles et de nos universités. On a beaucoup de difficultés à penser que l’on pourrait faire mieux.

En France comment peut-on intégrer la méthode Montessori à l’école publique ?
Il existe des systèmes de reconnaissance à deux niveaux. Le premier n’offre pas beaucoup de garanties, le 2ème passe par l’éducation nationale mais ce n’est pas toujours simple. Par exemple un inspecteur trouvait inacceptable de parler « d’enfants » au lieu « d’élèves », un autre disait « si cela ne dépendait que de moi,  je fermerai votre école demain». L’éducation nationale considère que c’est une approche iconoclaste. En revanche beaucoup d’instituteurs s’y intéressent et la pratiquent dans leur classe car ils voient bien les résultats remarquables de la méthode mais ils ne le disent pas pour ne pas être ennuyés.

La recherche scientifique s’est penchée sur la méthode Montessori, quels sont les résultats ?
C’est assez récent, cela a une dizaine d’année. Les premières recherches ont eu lieu aux USA. Les universités chinoises se penchent aussi sur le sujet. On a cherché à mesurer et à documenter les résultats de la méthode. En ce qui concerne l’acquisition de connaissances, ce qui ressort est que chez  les enfants ayant suivi des classes Montessori,  la différence est positive (plutôt au dessus),  mais pas significative. En revanche,  en termes de développement de la personnalité, d’intégration sociale, de rapport aux autres, de capacité à s’exprimer, à échanger, la différence est considérable. Un enfant qui a vécu de 3 à 10 ans dans une classe Montessori est plus sûr de lui. Il est capable de prendre plus de risque pour lui et son environnement.  Il a plus d’imagination. Il prend sa vie en main. Mais créer des hommes et des femmes intelligents, qui prennent des risques,  peut faire peur dans le monde où l’on vit aujourd’hui. Des chercheurs en neurologie et en sciences cognitives ont cherché à vérifier les intuitions des observations de Marie Montessori sur les périodes sensibles pour le développement du langage, du sens artistique, de la formation de la personnalité, etc. Ces observations ont été confirmées par ce qu’on connait aujourd’hui sur le développement du cerveau de l’enfant.

Etes-vous fier de personnalités comme Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon ou les deux frères fondateurs de Google qui disent qu’ils doivent leur liberté d’expression à l’école Montessori ?
Ils nous disent cela, soit, c’est un bon argument qui montre qu’on obtient des résultats. Mais je ne veux pas bâtir une stratégie ou une motivation pour convaincre les gens que leur enfant va devenir le futur Bill Gates ! Chaque parent comprend en regardant son enfant qu’il est plein de talents et qu’ils ont besoin d’être développés. Je préfère les convaincre qu’il existe une méthode dans laquelle tous les talents de leur enfant peuvent être développés au maximum. Ils ne seront pas tous Bill Gates (et heureusement) mais ils auront un rôle positif dans la société et dans leurs rapports avec les autres. Les enfants ont naturellement le don de résoudre les conflits,  ce que nous perdons avec l’âge (ou que la société nous fait perdre). Les enfants ont des conflits parfois violents mais ils ont la capacité dans nos écoles de mettre fin au conflit et de repartir d’une façon positive. Par la manière de favoriser le développement naturel des individus nous pouvons créer un monde qui sera plus harmonieux et qui sera capable de faire face aux problèmes inévitables qu’une société humaine va rencontrer.

La pédagogie est très développée pour la tranche des 3 à 6 ans mais quid des 6 à 12 ans ?
Le cycle 6 à 12 ans est important. Nous mettons des efforts dessus car il y a une forte demande et il faut former des éducateurs sur ce sujet, c’est ce que nous sommes en train de faire.  Mais pour moi le plus important reste la période 0 à 3 ans qui est un travail très étroit avec les parents. C’est pendant cette période qu’une partie essentielle du potentiel futur va pouvoir se développer, planter les éléments qui vont se développer ultérieurement. C’est notamment la période du mouvement, du langage et du rapport aux autres. Nous avons un grand nombre de personnes en cours de formation en ce moment sur ce domaine.  A cet âge, l’enfant doit être avec sa mère mais aussi apprendre à se séparer d’elle. Nous finalisons un programme « Initiative de soutien des parents » sous forme de vidéos et de livres avec des choses simples à faire et à ne pas faire pour que le cadre familial favorise le développement de l’enfant.  Comme par exemple ne pas utiliser une tétine car cela ne favorise pas l’évolution du langage, ne pas mettre l’enfant derrière des barreaux (lit, parc) quand il a très envie de se déplacer.

Quels sont vos espoirs et vos développements futurs en tant que président de l’Association Montessori Internationale ?
  • L’expansion en nombre pour promouvoir l’ouverture d’écoles dans de nombreux pays, notamment les pays émergeants.
  • Continuer à travailler pour démontrer l’efficacité et  poursuivre l’oeuvre de développement intellectuel de Maria Montessori sur les 0-3 ans et les adolescents.
  • Sortir de l’image de l’école d’élite et du luxe et se développer dans des environnements plus pauvres comme actuellement en Afrique de l’est, en Haïti. Nous avons vu des résultats spectaculaires dans des camps de réfugiés. Nous voulons montrer que Montessori n’est pas réservée aux élites.
  • Unir le milieu Montessorien car malheureusement il reste encore beaucoup d’égo là dedans ! Nous voulons être à la tête du mouvement de rassemblement plutôt que de la différenciation,  mais ce n’est pas simple ! Nous devons apprendre à être tolérants les uns par rapport aux autres,  unir nos forces tous ensemble pour peser sur le monde éducatif alors que les uns contre les autres ou individuellement nous n’y arriverons pas. L’important n’est pas nos associations respectives mais les enfants que nous servons.

Pour aller plus loin avec le livre : Apprends-moi à faire seul, la pédagogie Montessori expliquée aux Parents. Ed Eyrolles.

Anne Ghesquière

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