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Grande interview

"Je reste persuadée que nous sommes très inadaptés à notre environnement", interview de l'avant-gardiste Coline Serreau

Coline Serreau
" Comment pouvons-nous nous croire supérieurs et avoir l’arrogance de brandir l’étendard de la conscience, dont seuls nous serions dotés ? "
DR
Catherine Maillard
Catherine Maillard
Mis à jour le 25 février 2021
Icône d’une génération écologique, la cinéaste visionnaire et artiste protéiforme, Coline Serreau, revient sur son parcours dans un ouvrage inspirant. Entre indignation, espoir et féminisme, son regard sur la société, la vie, nous ouvre des pistes de réflexion. Une vraie engagée, en toute liberté. 

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Cet article a été publié dans le magazine FemininBio #27 février 2020 - mars 2020

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À 72 ans, elle n'a rien perdu de son âme pionnière. Coline Serreau s'engage aujourd'hui comme depuis ses débuts et met son énergie inébranlable au service de la Vie. Artiste aux multiples talents, formée tant à la musique, qu'aux arts du cirque, à la danse, à l'écriture et au théâtre, c'est en 1975 qu'elle se lance dans la réalisation cinématographique. Qui ne se souvient pas de Trois hommes et un couffin qui, en 1985, compta parmi les records du cinéma français avec ses 12 millions d'entrées !

Mais au-delà du divertissement, c'est le regard qu'elle porte sur notre société et ses dérives qui fait de Coline Serreau une artiste à part. La Crise, Chaos, Solutions locales pour un désordre global et bien sûr La Belle Verte qui, en avance sur son temps, fut vivement critiqué lors de sa sortie avant de connaître un succès retentissant sur Internet. 

Plus récemment, la réalisatrice s'est exprimée avec véhémence sur les violences sexistes, notamment dans le milieu du cinéma, appelant au changement de paradigme pour que les femmes n'aient plus peur de parler. Invitée à réagir au témoignage d'Adèle Haenel, elle l'a félicitée pour la justesse de ses mots qui dénoncent le système patriarcal dans lequel nous évoluons, avant d'ajouter : " Nous ne sommes pas une minorité à défendre gentiment. Nous sommes la moitié du monde. " Rencontre avec une passionnée, une indignée, une éveillée, autour de la sortie de son livre événement. 

Vous qui avez anticipé l’évolution des sociétés dans vos films, pouvez-vous nous parler de La Belle Verte, sorti en 1996. Quelle en a été l’impulsion et comment expliquer qu’il soit devenu iconique ?

Il est issu d’un long processus, de recherches, et de questionnements ; j’avais envie de rendre compte de la société, sans en faire une énumération à la Prévert. Plus j’avançais, plus j’avais la certitude de ma vision. J’étais habitée par une forte intuition, celle de la possibilité d’un monde différent, qui prônait la beauté, la connexion à la nature, un désir d’authenticité.

Ce monde allait advenir, l’humanité tendrait immanquablement vers ce point. Une fois le film terminé, j’ai ressenti un profond sentiment d’accomplissement, ça aurait pu être mon dernier.

Son succès tardif – il a d’abord rencontré un échec cuisant – m’a conforté sur la pertinence de son message, à savoir les enjeux écologiques et les problèmes que pose notre déconnexion à la nature. Je me sentais guidée, tel le Candide de Voltaire, à donner à voir autrement, pour que nos regards se décillent sur les aberrations de nos modes de vie. Si enlever ses chaussures et embrasser un arbre pouvait paraître à l’époque loufoque, aujourd’hui c’est une voie de reconnexion terre-humain reconnue. La reconnexion à un principe féminin, la Terre.

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Vous consacrez un chapitre à la naissance, et à l’importance des rites de passage qui ont disparu. Que voulez-vous dire ?

La naissance est centrale dans La Belle Verte, avec le personnage du gynécologue (Vincent Lindon) qui avoue « piquer, périduraler, cisailler, mais ne pas savoir faire naître un enfant… » C’est bien ça, le problème ! Notre époque a évacué les grands rites de passage, à commencer par l’accouchement, qui sont primordiaux pour une société saine. La surmédicalisation du corps des femmes (péridurale, déclenchement, césarienne) les prive d’une puissante ressource…

En leur volant la véritable expérience de l’accouchement, qui est organique, et qu’il ne faut pas déranger, elles sont les premières lésées, mais pas seulement, les nouveau-nés aussi… et avec eux toute l’humanité à venir. La disparition des sages-femmes, ces passeuses, et de ce savoir-faire manuel est une catastrophe.

Dans toutes les civilisations, les rites de passage sont cruciaux, ils accompagnent la naissance, la mort, la puberté... Ce moment où l’enfant doit être sevré de la protection parentale pour se confronter, corps et esprit, à la dureté du monde, aux épreuves qui vont jalonner son existence. Et trouver les ressources pour s’en sortir par lui-même.

Seul un rite peut encadrer ce passage de l’adolescence à l’adulte. En leur absence, le risque est de rester tardivement des enfants rois, et de se trouver très démunis face aux épreuves (une rupture, la maladie d’un enfant, un licenciement, la mort), avec les effondrements que l’on connaît ou le déni face à la réalité, et une immaturité générale.

Avec Solutions locales pour un désordre global, en 2010, vous ouvrez à nouveau la voie vers une écologie responsable. Pouvez-vous nous en parler ?

Le film a connu un succès retentissant dès sa sortie ; pendant plusieurs années les projections faisaient salle comble. Son impact dans les milieux écologiques a été marquant. Il est dû à son analyse, novatrice pour l’époque, de " pourquoi ça foire ? ", "Comment ça peut se réparer ?"  Il rassemblait pour la première fois des personnes avec une pensée alternative puissante et prospective. La militante écologique Vandana Shiva, les Bourguignons ingénieurs agronomes, l’agriculteur et scientifique Philippe Desbrosses, Pierre Rabhi devenu iconique, les paysans sans terre du Brésil.

Mon intention initiale n’était pas tant de centrer le film sur l’écologie, la terre, l’agriculture. C’est au cours des rencontres que l’évidence est apparue. Cette maltraitance de la terre est à l’origine du désordre global actuel qui peut nous amener au collapse ; renverser ce courant est une priorité. Comment pourrait-il en être autrement, quand on connaît l’origine du désastre de l’agriculture intensive, à savoir le recyclage des produits de guerre (armes chimiques et chars versus pesticides et machines agricoles) ?

Rappelons-nous d’où nous venons ! Notre environnement citadin n’est en réalité qu’une émanation de la Terre, de l’humus, notre humanité. La replacer au centre est plus qu’une prémonition mais une évidence.

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En tant qu’artiste engagée, quelle serait votre vision du futur possible ?

L’utopie est difficilement imaginable, la vie elle-même est si pleine de ressources, l’humanité également, riche d’une potentielle intelligence collective. Il y a une telle pulsation, un tel grouillement intérieur qui fait que ça va toujours aller vers quelque part, qui n’est pas du tout prévu. Pour envisager le futur, j’aimerais citer le Livre du Tao qui nous remet à notre place. Nous faisons partie d’un tout et sans doute que toutes ces nuisances vont se réguler selon un principe naturel, dont nous n’avons pas le contrôle.

Le non-agir, cette conscience qu’il y a une évolution très organique qui opère sans nous. Nous pouvons avoir l’illusion que nous agissons le changement, mais peut-être que nous n’avons qu’une seule action possible, l’accompagner. Nous pouvons lutter pour qu’il advienne, mais pour reprendre une métaphore de la terre, tirer sur la salade ne la fait pas pousser plus vite… ça la déracine ! Pour l’accompagner, il faut en avoir conscience. C’est la raison pour laquelle nous avons besoin d’éclaireurs, qui partent en avant !

Bien sûr j’ai un rêve, ma vision artistique est imbibée d’une vision politique, dans le sens de comment organiser la cité, organiser la vie ensemble. Dans les grandes lignes, ça pourrait être de recalculer le PIB d’un peuple autrement que par la finance, changer de préoccupations, de modes de vie, de modes de consommation, repenser la santé et la démocratie participative.

Croyez-vous à l’éveil des consciences ?

Je ne voudrais pas paraître sceptique, toutefois, à bien y regarder, il me semble que s’il y a quelque chose que nous avons développé, c’est l’ego. Je reste persuadée que nous sommes très inadaptés à notre environnement, et que nous avons beaucoup à apprendre.

Nous sommes les derniers arrivés dans l’échelle des différents règnes, minéral, végétal, animal. Notre espèce est récente. Regardez les végétaux, leur organisation est d’une complexité incroyable. Comment pouvons-nous nous croire supérieurs et avoir l’arrogance de brandir l’étendard de la conscience, dont seuls nous serions dotés ? Mais de quoi parle-t-on ?  Aujourd’hui, il me semble que ce n’est ni plus ni moins que l’équivalent des muscles d’une gazelle, ou les griffes d’un lion, un attribut. Nous avons encore tant à apprendre.

Son livre 

Dans ce livre en forme de mémoires fragmentaires, Coline Serreau se raconte pour la première fois. Elle lance des pistes de réflexion sur notre société, évoque ses influences artistiques, sa famille, son combat en faveur des femmes et de l’écologie, ses créations (La Belle Verte, La Crise…), les sujets qui la révoltent et ceux qui lui donnent du bonheur. Créatrice aux nombreuses facettes, à la fois cinéaste, metteure en scène de théâtre et d’opéra, auteure, actrice, compositrice, c’est dans la peinture, la musique et la nature qu’elle trouve l’inspiration. 

En vingt-trois hashtags lancés à l’attention du lecteur, Coline Serreau dessine les contours de ce qui a façonné son parcours et sa réflexion : ses ancêtres et ses maîtres, Freud, Bach, Rembrandt, mais aussi l’école de Marguerite Soubeyran à Beauvallon, le cinéma, le théâtre, le cirque, l’opéra… Autoportrait kaléidoscopique d’une artiste engagée.

Notre experte 

Le livre #colineserreau, par Coline Serreau, aux éditions Actes Sud.

 

 

 

 

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