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Dr Marc Pilliot "Les mères se culpabilisent alors que c’est la société qui dysfonctionne !"

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Mis à jour le 25 février 2021
La naissance d'un nouvel être va bien au-delà de l'acte d'accoucher. Au moment crucial où les nouvelles mères ont besoin d'être tournées vers leur petit, et elles-mêmes, elles subissent un contexte et une pression sociétal immense perturbant le lien qui se créé à ce moment précis. Le Dr Marc Pilliot nous éclaire sur les enjeux de la naissance et de l'allaitement maternel.

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Le Dr Marc Pilliot a dédié sa carrière médicale à la petite enfance et en particulier à l'allaitement maternel. C'est à l'occasion de sa participation à l'événement "L'allaitement maternel : au delà du lait" les 19 et 20 octobre 2019  sur le thème "Les enjeux de la naissance : du premier regard à la parentalité" que nous lui avons posé quelques questions. 

"La venue au Monde reste un mystère. Il y a une naissance des corps qui est l’accouchement : les processus physiologiques y permettent une adaptation rapide, soumise à notre temporalité. Mais, au-delà de l’accouchement, il y a aussi une naissance psychique, naissance d’un être humain, d’une conscience, d’une pensée. Il y a passage d’un monde intemporel de globalité et d’harmonie originelle permanente à un monde de discontinuité et de frustrations. Le premier regard du « bébé naissant » est une passerelle entre ces deux mondes. Pour la maman, le regard de son bébé crée un « élan maternel » indéfectible. Pour le nouveau-né, la rencontre d’un autre regard humain l’humanise et le transforme en être de conscience et de pensée, en être de désir. Apprenons à respecter la physiologie de la naissance pour ne pas parasiter ce moment privilégié et permettre, dans les meilleures conditions, un échange de regards, une création immédiate des liens… puis un bon démarrage de l’allaitement."

Pourquoi le sujet de l’allaitement est-il toujours si sensible dans la société et vu comme culpabilisant pour celles qui n'allaitent pas ?

Culpabilisant pour les femmes qui n’allaitent pas ? Mais celles qui allaitent sont aussi culpabilisées ! Et allons même plus loin : ce sont les femmes en général, et les mères en particulier, qui sont culpabilisées. Nous héritons cela de la psychanalyse qui a fait croire à la société que si nous étions névrosés, c’était à cause de notre mère. « Quoi que vous fassiez, ce sera raté » disait Freud à une mère qui lui demandait des conseils. Heureusement, un siècle plus tard, Boris Cyrulnik rajoutait « si vous ne faites rien, c’est encore pire ».

Actuellement, tout est bien difficile pour les femmes en général. Nous sommes à une époque de normalisation sans bornes. Une femme doit être mince, élégante, moderne, sexy, bonne au lit, bonne cuisinière, bonne organisatrice de la maison, intelligente, performante au travail pour finalement être moins payée que les hommes… Si on écoute les médias, il y a une bonne façon d’être en couple et de jouir… Et si cette femme choisit d’être mère, il faudra qu’elle soit parfaite, aimante, fine psychologue, épanouie et heureuse. Alors, à l’arrivée du premier enfant, les difficultés rencontrées, la charge mentale des soins, parfois l’épuisement, conduisent à une impression de ne pas y arriver, à une forte culpabilisation et à une perte de confiance en soi. Autrefois, il y avait tout un village pour s’occuper d’un enfant : si la maman craquait, elle n’était jamais seule. Mais, de nos jours, les mères sont isolées et souvent éloignées de leur famille, les grandmères sont encore actives, les médias et Internet mettent la pression et proposent des « recettes », la Société ne sait plus ce qu’est un tout-petit et les notions simples de maternage ont été oubliées. Avec de telles pressions, les mères se culpabilisent alors que c’est la société qui dysfonctionne

Par ailleurs, la surmédicalisation de la grossesse et de l’accouchement dépossède les femmes de leur corps ; le soutien des jeunes mères ressemble plus à un enseignement de ce qu’il faut faire, plutôt qu’à un véritable accompagnement dans leurs capacités personnelles et dans leurs ressentis. En plus, puisque chacune et chacun sont confrontés, à un moment de leur vie, dans leur famille, à un accouchement et au nourrissage d’un bébé, tout l’entourage de la mère a un avis à donner, rajoutant ainsi un peu plus de confusion et de discordance dans les discours.

Quand on prend conscience de tous ces contextes, on comprend mieux pourquoi les sujets de maternage et d’allaitement sont aussi « sensibles » dans notre société. A vrai dire, les questions sont mal posées : l’important n’est pas de savoir s’il faut allaiter ou pas. Les vraies questions sont plutôt :

  • Qu’est-ce qui, à un moment donné, convient le mieux à cet enfant et à cette mère ? Une jeune femme peut ne pas être prête à allaiter son 1er enfant puis, quelques années plus tard, du fait de son cheminement personnel et de ses rencontres avec d’autres mères, elle peut souhaiter allaiter son 2ème enfant. Cela ne signifie pas qu’elle est meilleure mère avec son 2ème enfant ; cela signifie seulement qu’elle a évolué dans son approche de la maternité.
  • Qu’est-ce qui fait qu’une maman n’ait pas envie d’allaiter ? Parfois, c’est à cause d’un allaitement antérieur qui est devenu galère et qui a échoué : la mère en conclut toujours qu’elle a été incompétente alors que, le plus souvent, ce sont les conseils donnés par les professionnel(le)s qui étaient mal adaptés. Parfois, il s’agit d’une femme tellement dévalorisée dans son passé qu’elle ne peut pas imaginer que son lait puisse être « bon » pour son enfant. Ou bien encore, pour des raisons intimes, elle peut craindre un rapport trop charnel avec son enfant lors de l’allaitement. Qui sommes-nous pour nous permettre de la juger ?
  • Pourquoi choisit-elle d’allaiter ? Pour le plaisir ? Ou pour offrir des bénéfices-santé à son enfant ? Ou pour réparer la blessure d’avoir accouchée trop prématurément ou par césarienne ? Selon les cas, les durées d’allaitement ne sont pas les mêmes.
  • Pour combien de temps ? Dans certains pays, la durée moyenne sera de 18 mois – 2 ans, voire plus. En France, au-delà de 3 mois, une mère allaitante devient une pionnière et doit s’attendre à des réflexions, voire des quolibets, de son entourage ou même de certains professionnels. Quoi qu’il en soit, un allaitement réussi est celui qui a duré le temps qu’avait prévu la mère dans son projet.
  • Redoute-t-elle d’arrêter ? Et si oui, pourquoi ? Est-ce pour préserver le seul moyen qu’elle trouve pour assurer un lien avec son enfant ? Dans ce cas, il peut être utile de la rassurer sur ses capacités à créer une proximité par d’autres moyens que l’allaitement.

Qu'est ce qui se joue au moment de la naissance pour l'être qui vient au monde ?

Avant de répondre, il faut quelques explications préliminaires à partir des données neuroscientifiques récentes. Par rapport aux autres mammifères, les humains ont la particularité d’avoir une grande partie du cerveau génétiquement programmée pour se moduler en fonction des informations extérieures : formidable « plasticité cérébrale » qui nous permet d’avoir une puissante adaptabilité. Pendant la première moitié de la grossesse, le cerveau du fœtus se structure, tout en créant près de 100 milliards neurones. Puis, dans la seconde moitié de la grossesse, chaque neurone établit entre 15 000 et 100 000 connexions avec ses voisins : ce sont les synapses qui se multiplient encore très fort pendant les deux premières années, puis de façon plus modérée ensuite, y compris à l’âge adulte.

C’est ce câblage cérébral phénoménal qui est modulable en fonction des influences extérieures, créant ainsi une individualité différente pour chacun, en fonction de son expérience vécue. Et cela débute dès la vie fœtale, car les sens commencent à se développer rapidement, dès 4 à 6 semaines, au point d’être déjà bien performants pendant les derniers mois de grossesse, y compris la vue. Ainsi, grâce à ses capacités sensorielles rapidement performantes, le fœtus humain peut percevoir, ressentir, et même mémoriser son monde intra-utérin. Au moment de la naissance, le nouveau-né n’est donc pas indemne de la vie prénatale : il vient « d’un autre monde » dans lequel il a déjà établi des connexions mémorisées. Pour lui, la naissance est une véritable rupture, une perte de ses repères, d’autant plus difficile à vivre que son état lamentable de motricité ne lui permet pas de gérer les effets de la pesanteur, ni la sensation d’un éclatement de son corps. Ce sont les sens qui vont créer une « passerelle », une continuité trans-natale : le passage d’un monde à l’autre sera plus facile pour le nouveau-né s’il peut établir un lien sensoriel entre la vie d'avant et la vie d'après.

A nous de respecter ce qui se passe au moment de cette transition fragile et cruciale. Si tout va bien à la naissance, et tout en respectant quelques règles simples de sécurité, on laissera la maman prendre son enfant à pleines mains et le poser à plat ventre sur elle, lui permettant ainsi de retrouver des sensations de sa vie d'avant : l’enveloppement et le soutien de son corps grâce à l’appui sur le corps et les bras de sa mère, la chaleur, la respiration et les bruits du cœur de sa maman, les odeurs, la voix... Il va « entrer en contact » en découvrant le regard de sa mère, de son père. Puis, attiré par l’odeur des sécrétions de l’aréole du sein maternel, semblable à l’odeur du liquide amniotique, il va se hisser jusqu’au sein et jusqu’au mamelon en utilisant ses réflexes dits « archaïques » ; puis il va commencer à téter quelques gouttes de colostrum qui, elles aussi, ont la même odeur et le même goût que le liquide amniotique. Le lien est établi et le nouveau-né, ainsi sécurisé par ses informations sensorielles, pourra s’attacher plus facilement à cet être humain qui l’a aidé dès le début, et ainsi il pourra s’ouvrir à son nouveau monde et le découvrir petit à petit.

Et pour sa mère ? Ses parents ?

Au moment de la naissance, après quelques minutes d’adaptation, le nouveau-né cherche à ouvrir les yeux et à entrer en relation avec le visage de sa mère : regard concentré, intense, profond ; regard qui transcende et qui joue sur notre émotivité, voire sur notre spiritualité. « On a l’impression qu’il possède toute la Sagesse du Monde » confie une maman. Qui a rencontré ce regard est transformé, sublimé en mère ou en père : « Je me suis senti devenir père à ce moment-là » précise un papa. Nous sommes là dans le propre de l’Humain : ce phénomène n’existe pas chez les autres mammifères.

La médecine technicienne oublie souvent que la naissance est bien plus qu’un simple accouchement. Finalement, celui-ci n’est que la naissance des corps, avec des processus physiologiques qui permettent une adaptation rapide, soumise à notre temporalité. Mais, au-delà de l’accouchement, il y a aussi une naissance psychique et spirituelle, naissance d’un être humain, d’une conscience, d’une pensée. Il y a passage d’un monde utérin, intemporel de globalité et d’harmonie permanente, à un monde extérieur fait de discontinuité et de frustrations. Le premier regard du nouveau-né est une passerelle entre ces deux mondes. Pour la maman, il crée un « élan maternel » indéfectible. Pour le nouveau-né, la rencontre d’un autre regard humain l’humanise et le transforme en être de conscience et de pensée, en être de désir.

Lorsque le bébé a été éloigné de la maman pour des soins urgents, les retrouvailles quelques minutes, quelques heures, voire quelques jours après, permettront de récupérer ce qui a manqué. Les contacts corporels, les odeurs, les paroles vont favoriser une reconnaissance réciproque et les regards vont pouvoir se répondre. Mais tout sera plus facile si un échange de regards, même très bref, a pu être facilité avant l’éloignement du bébé. Apprenons à respecter la physiologie et la profondeur de ce qu’est une naissance, afin de ne pas parasiter ce moment privilégié et de permettre, dans les meilleures conditions, un bon démarrage de la relation, de l’attachement, puis finalement de l’allaitement.

Quelles missions poursuivez-vous aujourd'hui en tant que médecin pour soutenir l'allaitement ?

Je suis maintenant au crépuscule de ma carrière et j’ai basculé vers la retraite depuis quelques années. Il me reste donc un rôle de transmission. Pour ce faire, mon but est de partager mes réflexions glanées tout au long de ma carrière de pédiatre, mais aussi de ma vie d’homme, de ma formation initiale de philosophie, de mes lectures, de mon regard critique sur certains conseils médicaux trop cartésiens et, surtout, de mes échanges avec les mères. Eh oui ! car j’ai beaucoup appris en prenant le temps de les écouter : elles ont tant de ressources en elles lorsqu’elles reprennent confiance dans leurs capacités et qu’elles n’écoutent plus trop les sirènes de la société et de la publicité !

Le Dr Marc Pilliot fut pédiatre en réanimation néonatale à l’Institut de Puériculture de Paris de 1975 à 1983, pédiatre libéral à Roubaix, avec activité en maternité, de 1984 à fin 2013  puis formateur en Périnatalité et Allaitement maternel de 2008 à fin 2015. Parmi ses actions il a également co-piloté le projet IHAB (Label OMS « Initiative Hôpital Ami des Bébés »), été Président de « L’ENVOL » de 1985 à 2007 : Association pour les professionnel(le)s de maternité afin d’améliorer l’accueil et l’éveil du nouveau-né -DIU « Lactation Humaine et Allaitement Maternel » (DIULHAM) en 2002 et consultant en lactation en 2004. Enfin, il fut le président de la CoFAM (Coordination Française pour l’Allait. Maternel) de 2003 à 2011 et est Membre de la Commission Nationale de la Naissance et de la Santé de l’Enfant (CNNSE) au Ministère de la Santé depuis mars 2011. 

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