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Féminisme

Abnousse Shalmani « En matière de féminisme, il est fort instructif de garder un oeil sur notre passé"

abnousse shalmani
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Parlement du Féminin 2017
Anne Ghesquière
Anne Ghesquière
Mis à jour le 25 février 2021
Journaliste et écrivain féministe, Abnousse Shalmani fait partie des femmes qui ont signé la tribune "Nous défendons une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle" dans les colonnes du Monde. C'est un débat complexe, qui déchaîne les passions et réveille nos histoires de vie. Nous avons souhaité l’interviewer pour tenter d’aller et plus loin et sortir du prêt-à-penser.

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Vous avez co-signé avec une centaine de femmes une tribune dans le Monde fustigeant un nouveau puritanisme, pouvez-vous nous expliquer ?

L'initiative a été prise par Sarah Chiche qui a contacté Catherine Millet qui a contacté Peggy Sastre qui m'a contactée. Nous avons chacune nos sensibilités, nos combats, nos univers. Ce qui nous mettait mal à l'aise ce n'était pas la libération de la parole, évènement historique et fondamental, qui mérite notre entier soutien, mais ses effets secondaires.

D'une part la délation sans procès. Je trouve qu'il est essentiel de condamner pénalement les hommes coupables de harcèlement et/ou de viol. Mais il est dangereux de "balancer" des hommes sur les réseaux sociaux sans leur donner la possibilité de se défendre.
Le deuxième effet secondaire, c'est la victimisation des femmes. Réduire les femmes à n'être que victimes, les emprisonner dans ce rôle, c'est effacer leur puissance. C'est non seulement extrêmement réducteur mais c'est aussi considérer qu'il est impossible de sortir de ce statut. J'ai été personnellement victime d'une agression sexuelle. Mais je ne suis pas restée cette victime, j'ai dépassé la violence, je me suis construite comme une femme autonome et forte. Vouloir que les femmes victimes le demeurent, c'est leur dénier la possibilité d'être autre chose. 
Le troisième effet secondaire se joue au niveau du retour de la morale protectrice et de la censure. Oui à la parole, non à la censure morale ! pourrait être notre mot d'ordre. Que les "solutions" à la violence subie par les femmes remettent en cause la liberté de création, relèvent du totalitarisme et desservent la cause féminine, non. Ce n'est pas parce que Carmen meurt assassinée par un homme, que des hommes tuent des femmes. Blow up n'est pas un film qui incite au sexisme, un nu de Modigliani n'est pas une apologie du viol. La création est le lieu du questionnement, du malaise, de la complexité. Réfléchir aux faiblesses, à la bassesse, à la violence, n'est pas la soutenir ou la valoriser.

C'est dans cet esprit que nous avons entamé la rédaction de ce texte. Pour ouvrir le débat à d'autres voix qui n'annulent absolument pas les premières. Le titre de la tribune est clair : "Des femmes libèrent une autre parole". Nous ne pouvions être plus précise. Notre parole n'annule ni ne minimise ni ne remet en cause la parole des femmes qui s'est exprimée depuis l'affaire Weinstein. Le Monde a fait le choix, franchement racoleur, de modifier le titre de la tribune sur son site internet. Ce fameux "droit d'importuner" qui a canalisé toutes les attaques et qui ne constitue qu'un des arguments de notre tribune.

Pourquoi est-ce si mal perçu et vu comme réactionnaire ?

C'est exactement ce qui me dépasse. Quand je dis que nous ne nous attendions absolument pas à une telle déferlante de haine et de violence, je ne suis pas de mauvaise foi. Nous pensions ouvrir le débat, mettre des idées sur la table, et réfléchir ensemble à comment préserver ce mouvement libérateur des dérives qui pourraient s'avérer contre-productif pour le féminisme. Car oui, je suis toujours féministe, même si je ne suis pas une féministe institutionnelle ni puritaine. Vouloir nous faire taire ou considérer que nos propos sont insultants alors que nous considérons le viol comme un crime et le harcèlement comme un délit, c'est plus que surprenant.
Le terme de "réactionnaire" me choque encore plus. 

Le féminisme du début du XXème siècle est le socle d'où a poussé le féminisme moderne qui a obtenu la grande majorité de nos droits. Il est donc fort instructif de garder un oeil sur notre passé. Les premières féministes - que l'on disait alors radicales en comparaison d'un féminisme catholique qui soutenait la femme-mère, déesse en son foyer et militait contre la liberté sexuelle - ont rageusement combattu ce qui les maintenaient prisonnières de leur sexe. Ce qu'elles ont combattues, ce sont les théories autour de la protection des femmes qui sont si fragiles. A l'époque les femmes ne pouvaient fréquenter les cafés, certains musées et bibliothèques, ne pouvaient pas voyager seules, porter le pantalon, se promener seules le soir, participer aux Jeux Olympiques etc... car jugées trop fragiles. Pour exemple, en 1928, les femmes parviennent à s'imposer dans 5 épreuves aux JO d'Amsterdam, dont le 800 mètres. A l'arrivée de l'épreuve devant le spectacle de femmes qui reprenaient simplement leur souffle, le comité des JO, soutenu par la presse, les politiques, les féministes religieuses, l'épreuve a été interdite aux femmes jusqu'en... 1960, pour les préserver ! Je rajouterais qu'il a fallu attendre 2002 et les Jeux de Londres pour que les 204 délégations présentes envoient au moins une femme.

Alors quand j'entends qu'il faut "protéger" les femmes, j'entends "réaction", j'entends "anti-féminisme", j'entends "danger". C'est là que je considère qu'un féminisme puritain nous a trahi. Je ne veux pas être protégé pas plus que je ne veux être un objet. Je veux l'égalité.

Qu'est ce qui, selon-vous, différencie la drague insistante du harcèlement ? Vous dites par exemple qu'apprendre à dire non, c'est apprendre à dire oui. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

La drague s'arrête là où commence le harcèlement. Je considère les femmes comme des adultes capables d'entendre une proposition sexuelle et d'y répondre (précision utile : les interpellations et les insultes qui se déroulent dans l'espace public ne relèvent pas de la drague mais du harcèlement) . Quand une femme dit "non" et que ce "non" n'est pas entendu, on tombe dans le harcèlement. Si la violence s'y ajoute, c'est de l'agression sexuelle, qui peut aller jusqu'au viol. C'est un crime. Qui doit être puni.

D'autre part, quand je dis "pour apprendre à dire "non", il faut apprendre à dire "oui", j'en réfère à l'éducation sexuelle. J'ai toujours pensé que l'égalité sera totale le jour où les femmes seront aussi fières de leur sexe que les hommes. Et cela n'est possible que si, dès l'enfance, elles sont valorisées en tant que femme et dès l'adolescence mises au courant de la sexualité, de la jouissance, du désir et du plaisir. Alors que les garçons savent (mal) les choses du sexe, les filles continuent d'être maintenues dans une innocence qui les rend vulnérables face à la sexualité. Nous avons donc ici les ravages de la mauvaise éducation sexuelle. Une sexualité mal enseignée, mal pratiquée rend les rapports de force entre hommes et femmes malsains.

Il faut apprendre aux femmes leur sexe, la beauté de leur sexe et la beauté d'une vie sexuelle consentie et épanouissante. Leur apprendre à dire leur désir, c'est neutraliser la peur du sexe, c'est les rendre "actives" et  briser pour de bon la position historique de "proie". Une femme ne devrait pas attendre de l'homme qu'il fasse le premier pas alors qu'elle le désire. Elle devrait "dire" son désir. D'où l'importance de la parole. C'est un travail de fond, il faut du temps, mais c'est à ce prix là que les mentalités évolueront.

Que pensez vous de la réponse des féministes par une autre Tribune menée par Caroline de Haas ?

Je la trouve insultante. Je n'ai jamais "soutenu" la pédocriminalité ou le viol. C'est proprement délirant. Nous commençons la tribune avec cette vérité : "le viol est un crime" et on nous reproche de l'avoir mis là, comme pour nous en débarrasser ! Mais qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'il y a un message subliminal entre nos lignes ? Je ne pense pas pouvoir être plus clair : le viol est un crime, le harcèlement un délit.

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