Partenaire
Inspirer, Faire du bien

Interview de Charles Kloboukoff, patron de Léa Nature

Claire Sejournet
Claire Sejournet
Mis à jour le 25 février 2021
Diplômé de l’Ecole Supérieure de Gestion de Paris, Charles Kloboukoff commence par travailler dans le milieu de la grande distribution (Intermarché France) et de la diététique (Laboratoires Elysée). En 1993, il fait le pari de monter sa propre entreprise : Léa Nature. Le groupe, qui conçoit, fabrique et distribue des produits bio, bio/équitables et naturels, dans des domaines très variés, est engagé depuis sa création dans une logique de protection de la Planète. Rencontre avec un patron bio.

Partenaire

Interview de Charles Kloboukoff, patron de Léa Nature

Vous avez choisi de faire du groupe Léa Nature une entreprise citoyenne. En quoi consiste cet engagement ?

Effectivement, nous avons un engagement citoyen fort au sein de l’entreprise qui reflète notre façon de penser et concevoir les relations humaines au sein d’une entreprise. Nous avons une forte activité de sensibilisation des salariés, à travers la Journée de l’environnement proposée chaque année depuis 2000, ou des projections en interne de films ou documentaires engagés, mais aussi des services, comme la présence tous les jours de fruits bio en libre-service ou la participation du Groupe au Relais des Etablissements Français du Sang. Pour renforcer la cohésion des salariés au sein de l’entreprise et rendre l’atmosphère de travail plus conviviale, nous organisons tous les deux mois un repas inter-service, offert par l’entreprise, afin de permettre aux salariés de faire connaissance.


D’un point de vue économique, nous cherchons également à nous impliquer pour faire évoluer les pratiques. Ainsi, en 2007, quatre sociétés du groupe Léa Nature sont entrées dans le club 1% pour la Planète. C’est un engagement fort, qui traduit leurs convictions en actes, puisqu’elles s’engagent à reverser 1 % de leur chiffre d’affaires à des associations environnementales.

Léa Nature a quitté Paris pour La Rochelle en 1996. Est-ce une conséquence de votre volonté d’inscrire le groupe dans une démarche de développement durable ?

Il n’est pas anodin que nous ayons choisi La Rochelle. C’est d’abord un choix de vie que nous avons fait avec Catherine mon épouse, pour nos enfants et nous-mêmes. Sur le bord de l’Atlantique avec le phénomène des marées, l’air est d’une qualité exceptionnelle, la lumière aussi. La Rochelle nous a séduits par sa dimension humaine, la qualité de ses infrastructures, ses aménagements urbains très verts, sa politique de transports et son côté avant-gardiste.


Nous sommes à 3h de TGV de Paris, ce n’est pas négligeable et c’est un site attractif pour recruter et faire venir de nouvelles compétences. En matière de développement durable Michel Crépeau fut un précurseur. Maxime Bono a repris son flambeau avec la même philosophie et nous souhaitons effectivement devenir exemplaire dans ce domaine.

La mise au point de produits de beauté nécessite un important investissement en recherche et développement. Face aux grands groupes de cosmétique, comment arrivez-vous à assurer un niveau de recherche et développement qui vous permette de maintenir l’entreprise sur ce marché ?

La mise au point de produits de beauté nécessite un important investissement en R&D, c’est pourquoi nous consacrons  5,3 % de notre chiffre d’affaires cosmétique à la R&D. En deux ans, nous avons doublé nos effectifs dans ce domaine et créé un pôle sourcing/ingrédients qui sélectionne les plantes et élabore les extraits naturels les plus riches et les plus purs en principes actifs.

Léa Nature est aussi une entreprise alternative quand à la fabrication des produits. Vous refusez ainsi de tester vos produits sur les animaux et assurez sur le site Internet du groupe que vos produits sont testés par des « méthodes alternatives ». Face aux grandes multinationales concurrentes, comment assurez-vous la qualité des tests des produits ?

La loi française interdit de l’expérimentation animale pour les produits finis depuis 2004. Léa Nature refuse depuis de longue date cette expérimentation. Aussi demandons-nous systématiquement un certificat à nos fournisseurs de la preuve de non test sur animaux. Les méthodes alternatives consistent à tester in vitro sur cultures cellulaires épidermiques reconstituées les matières premières pour s’assurer de leur tolérance.


Concernant la qualité des tests des produits, nous sommes soumis aux mêmes exigences qu’un produit conventionnel et par conséquent aux mêmes contrôles. Nous réalisons donc des tests d’usage au même titre que les sociétés de cosmétique conventionnel. Léa Nature a choisi de les faire réaliser par des laboratoires indépendants pour assurer l’objectivité des résultats, qui sont très satisfaisants : nos produits ne donnent pas plus de réactions cutanées que les produits conventionnels. D’une manière générale, plusieurs palmarès démontrent que les produits bio sont aussi efficaces que les conventionnels.

Les normes européennes sont très strictes sur les tests et les produits de beauté. N’est-ce pas une contrainte supplémentaire pour le Groupe Léa Nature que de proposer des gammes alternatives ?

Les normes européennes sont très strictes et c’est tant mieux pour le consommateur.


En R&D, la difficulté pour nous consiste à formuler sans les matières interdites comme les ingrédients issus de la pétrochimie (silicone, parfum, produits ethoxylés, parfums et colorants synthétiques). Cela nous oblige à être plus inventifs, mais la nature nous aide beaucoup, même si les produits naturels sont moins faciles à stabiliser dans les formules. Grâce au savoir-faire de nos chercheurs, nous avons beaucoup progressé en deux ans. Nos fournisseurs nous offrent également plus de choix de matières premières, c’est incontestablement positif pour nous.


La seconde difficulté technique concerne la conservation des formules. Là où la cosmétique traditionnelle utilise des parabens qui sont pratiquement toujours efficaces sur les formules, nous devons souvent adapter nos systèmes conservateurs et les utiliser en synergie en fonction de chaque formule (complexe de sels et d’acide, ethanol, huiles essentielles). Un challenge test est systématiquement réalisé pour valider l’efficacité anti-microbienne.


Au niveau de la production des cosmétiques, la législation va se durcir en 2010 avec l’application de la nouvelle réglementation sur les Bonnes Pratiques de Fabrications cosmétiques, qui sont des règles très strictes. Nous les voyons  comme un levier de progrès, même si elles vont nécessiter des investissements supplémentaires tant au niveau des locaux que des machines auxquelles certaines entreprises plus modestes ne pourront pas faire face.

Le chiffre d’affaire de Léa Nature n’a cessé de croître depuis sa création. Le groupe a beaucoup diversifié ses activités et racheté des entreprises plus petites. Alors que vous cherchez à faire de Léa Nature un groupe industriel alternatif, c’est-à-dire avant tout préoccupé par la protection de l’environnement et le bien-être des employés, cela ne montre-t-il pas qu’il est impossible de sortir d’une logique capitaliste ?

Peut-on mener la révolution verte et citoyenne dans l’entreprise sans gagner d’argent et sans croissance ? Je ne le pense pas. Seul 10% du capital a été cédé à des Capitaux Investisseurs au bout de 15 ans. Le Groupe a autofinancé sa croissance en réinvestissant depuis 15 ans en moyenne 80% de ses bénéfices dans ses fonds propres.


Je condamne les dérives du capitalisme ultralibéral et pense qu’une part plus importante de l’entreprise doit appartenir aux gens qui y travaillent plutôt qu’à des investisseurs. C’est un de mes prochains objectifs.

En résumé, face à des concurrents moins soucieux de l’environnement, les coûts de vos choix de gestion d’entreprise ne sont-ils pas pénalisant ?

Il est évident que sur le court terme cela coûte plus cher. Mais sur le long terme, je suis convaincu du contraire, surtout avec enfin la mise en place de la Taxe Carbone qui va jouer en faveur des entreprises vertes vertueuses.
Pour moi, il est avant tout question de cohérence entre ce que l’ont fait et la manière de faire. Nous ne sommes pas encore très connus, mais ceux qui nous découvrent sont étonnés par la cohérence de notre démarche. Cela nous vaut du respect et de la fidélité.


La communication qui peut en découler peut être aussi une contrepartie à ce surcoût, mais je fais partie de ceux qui préfèrent « faire » avant de « parler ». Enfin, il y a un vrai sentiment d’appartenance en interne. Nos collaborateurs ont une certaine fierté à porter nos couleurs. Et la cohésion est une force qui est issue de notre cohérence. Vous voyez, on n’a pas encore fini d’évaluer toutes les contreparties à ce surcoût ; nous continuons dans cette voie avec encore plus de convictions.

Le développement durable implique de consommer moins et mieux. N’est-ce pas contradictoire avec les objectifs d’une entreprise ?

D’une manière générale, je dirais que oui, si l’on ne recherche le progrès qu’en terme quantitatif. Mais je diras le contraire si l’on considère que l’on est sur un marché de transfert et que 98% du marché n’est pas vertueux.


Les 2% restant vont grandir et se substituer progressivement aux entreprises conventionnelles. Je pense donc qu’il y a des perspectives de croissance verte pour une cinquantaine d’années, le temps de corriger ce qui a été fait depuis l’après guerre.

En tant que membres de « 1% pour la planète », 4 sociétés du Groupe Léa Nature reversent 1% de leur chiffre d’affaires à des associations travaillant pour l’environnement. Le fait que votre groupe soit resté une entreprise familiale et indépendante, dont vous détenez encore 90% des parts, ne facilite-t-il pas ce genre d’action par rapport à des entreprises soumises à la pression des actionnaires extérieurs ?

Oui bien sûr, nos investisseurs ne peuvent s’y opposer. La base de l’intéressement et de la participation sont calculés avant cet impôt volontaire de 1% pour la Planète.


Mais les grands groupes vont rivaliser d’effort marketing pour faire plus de bruit en  redistribuant une plus petite part de leur bénéfice.


Il nous faudra donc continuer à le faire et mieux le faire savoir. 1% du chiffre d’affaires n’est pas 1% du bénéfice…

Membre de 1% pour la planète, attaché à la valeur de solidarité dans l’entreprise, respectueux de la nature, … vous n’êtes pas un patron ordinaire. Avez-vous l’impression de faire cavalier seul ou sentez-vous un mouvement profond dans le monde des affaires pour une économie humaine ?

Je rencontre de plus en plus de gens biens, beaucoup il est vrai dans le milieu associatif, scientifique, coopératif, public et quelques patrons d’entreprises privées. Il est peut-être temps d’envisager à plusieurs la création d’un mouvement pour promouvoir l’économie citoyenne et écologique.


L’histoire nous apprend que l’argent gardé dans un coffre rend triste.


Dans une récente interview, j’ai dit que mettre en avant la performance, la rentabilité, l’exportation, les perspectives de croissance, était insuffisant lors du grand prix de l’entrepreneur. Il existe désormais un prix national pour la dimension sociale et un autre pour le développement vert. Comme quoi les choses bougent.


Si vous avez de la compassion pour les autres et si vous prenez le temps d’admirer la nature, vous verrez dans le regard de nos enfants le monde et les entreprises dans lesquels ils voudraient vivre demain.


A chacun de construire une part de l’héritage que nous leur laisserons.

Claire Sejournet

Découvrez FemininBio Magazine en version papier ou PDF ! Achetez nos éditions depuis notre boutique en ligne.

Partenaire

Vous aimerez peut-être

Coups de cœur

Chaque semaine, des partages conscients et inspirants dans votre boîte mail.

Inscrivez-vous gratuitement !

Partenaire