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Rencontre avec Pierre Rabhi

Claire Sejournet
Claire Sejournet
Mis à jour le 25 février 2021
Né au milieu du Sahara, dans une oasis au Sud de l’Algérie, Pierre Rabhi a vécu entre la France et l’Algérie. De cette double culture, il garde un rapport particulier à la nature et une analyse fine de la société moderne. Rencontre avec cet agroécologiste plein de sagesse.

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Rencontre avec Pierre Rabhi

Pourriez-vous présenter votre parcours personnel, qui vous a amené à militer pour l’agriculture biologique et la protection de la planète ?

J’ai grandi en Algérie, pays que j’ai ensuite quitté pour étudier puis travailler en France. La logique de la vie moderne, telle que j’ai pu la vivre durant mes années parisiennes, ne m’a pas du tout intéressé. Après avoir rencontré ma femme, nous avons décidé de nous installer en Ardèche pour vivre un retour à la terre. Ce fut une révélation : j’avais 23 ans et je découvrais l’écologie. J’avais remarqué autour de moi le massacre que l’on faisait de notre terre nourricière, et je ne pouvais l’accepter. J’ai donc décidé de gérer ma ferme selon les principes écologiques et c’est ainsi que je suis devenu un écologiste, d’abord comme agriculteur bio puis comme militant.

A l’époque, étiez-vous le seul à faire cette démarche et avez-vous trouvé de l’écho ?

Disons que je fais partie des gens qui déjà en 1961 militaient pour une agriculture plus respectueuse de la vie. En ce qui concerne l’écho, et bien, il n’y en avait pas vraiment. A l’époque, cette question était récusée, parce que l’ambiance générale était au refus de tout ce qui n’était pas conventionnel. Je me suis initié à l’écologie en travaillant d’une façon pratique mais aussi par mes lectures. Je me souviens ainsi du livre de Henry Fairfield Osborn, La planète au pillage. C’est un livre remarquable car il faisait déjà en 1948 une analyse globale de l’impact de l’humanité sur la planète. Malgré l’alerte qui était posée dans le livre, les décisions politiques n’ont pas suivi. Pourtant, Osborn expliquait clairement que notre existence n’est pas forcément la meilleure pour la planète. Et c’est vrai que l’on peut se demander si nous ne sommes pas un accident écologique.

L’homme serait un « accident écologique » ?

Oui. Je crois vraiment que l’homme est un accident écologique. Ne serait-ce qu’en raison de l’agriculture. Regardez l’impact de l’agriculture moderne.

Justement, à ce sujet, vous militez pour l’agriculture biologique. Pensez-vous qu’elle est capable de faire face à la pression démographique que connaît la planète aujourd’hui ?

Il faut faire très attention sur ce sujet. La démographie doit être abordée avec beaucoup de circonspection. Je fais parti des 30% des gens qui dévorent la planète par excès. Il y a 70% de l’humanité qui malheureusement se serre la ceinture pour que nous puissions festoyer et dévorer. Ce qui détruit la planète, ce n’est certainement pas le besoin légitime de se nourrir. Si l’humanité ne se nourrit pas correctement, c’est parce que dans le système où nous sommes, nous ne prélevons pas seulement ce qui est nécessaire à notre survie mais nous prélevons énormément pour le superflu, un superflu totalement démesuré, sans limites. La preuve en est l’empreinte écologique : si chaque être humain sur la planète voudrait vivre comme un Américain, il en faudrait six ou sept. Focaliser sur « nous sommes trop nombreux », ça n’est pas juste, c’est carrément machiavélique et c’est une imposture. La planète a largement de quoi subvenir aux besoins de tous, mais elle n’est pas destinée à subvenir au superflu.

Que peut-on faire alors ?

Personnellement, j’ai fait le choix il y a quelques années de la sobriété heureuse, grâce au retour à la terre. Je ne voulais pas être victime du toujours plus et oublier de vivre. Je ne veux pas seulement exister, je veux être. J’ai donc pris l’option d’une autolimitation de façon à ce que je ne sois pas aliéné par le toujours plus et par l’argent. Par exemple, j’ai pris conscience que la valeur de ma voiture pourrait permettre à un village de 200 habitants en Afrique de vivre pendant 6 ans.

Mais comment faire prendre conscience aux gens de leur comportement superflu ?

Le problème, c’est la manipulation de l’être humain par la publicité, qui nous dit « vous n’avez jamais assez, vous êtes malheureux ». Elle donne un sentiment de manque, alors que l’on a en réalité largement assez, et nous empêche d’être heureux. On tente de se rattraper en consommant davantage et on tombe ainsi dans la surabondance. Il faut être sobre et adopter le principe de modération. Ce qui est réellement important, c’est pouvoir boire, se nourrir, se vêtir et avoir un toit. Il faut aussi s’assurer des  biens immatériels nécessaires à notre intégrité, pour que nous soyons des êtres accomplis, à la fois dans l’avoir et l’être. A partir de ce moment là, chacun doit voir à quel niveau il répond à ses besoins matériels. Je pense que les gens ne sont pas prêts à faire ce travail sur eux-mêmes. Regardez autour de vous : la société moderne manque clairement d’humanité et d’humanisme.

C’est là qu’intervient votre association, Colibri, pour sensibiliser les gens à l’humanisme ?

Tout à fait. Nous nous appelons Terre&Humanisme et avons pour objectif l’association de deux éléments inséparables que sont d’une part la terre nourricière, la terre planète et d’autre part l’humanisme qu’il faut construire. Aujourd'hui, la vie est un meurtre permanent. Nous sommes compétents mais nous ne sommes pas intelligents. Il faut repenser l’avenir sur d’autres bases, c’est difficile, certes, mais chez Colibri, nous sommes très radicaux sur ce point : nous pensons qu’il faut un changement de paradigme. Ce que j’entends par là, c’est de mettre honnêtement et d’une façon déterminée l’humain et la nature au cœur de nos préoccupations et non pas la finance, le profit, et ces idées qui détruisent.

Cela passe-t-il en particulier par l’éducation des enfants ?

Nous avons effectivement dans notre charte un slogan, qui est « quelle planète laisserons-nous à nos enfants, quels enfants laisserons-nous à la planète ? ». Il faut se préoccuper d’un être humain qui aura changé, pour qu’il puisse prendre soin de lui-même. On ne peut pas chercher à assurer la survie de nos enfants, les acteurs de demain, sans qu’ils aient intégré la nécessité d’aimer, de prendre soin d’eux-mêmes, des autres et de la vie.

C’est un vaste programme, non ?

Je ne dirais pas qu’il s’agit d’un programme, mais d’une inspiration. Si l’humanité reste stupide, elle mourra, c’est tout. C’est ainsi que je le vois. J’ai totalement intégré ce mode de vie et vraiment, non, je ne le considère pas comme un programme. Par contre, on peut effectivement en faire un programme pour l’éducation des enfants, car aujourd'hui, on leur propose dès tous petits quelque chose d’inhumain, en leur faisant percevoir le monde comme étant hostile et en les plaçant dans une logique de compétition. Il faut que les enfants connaissent la nature, car c’est à elle qu’ils devront toujours leur survie. Il faut qu’ils apprennent à se servir de leurs mains, car on a de façon stupide privilégier tellement le mental et l’intellect que les mains, pourtant indispensables, ont été méprisées. L’humanisme regroupe des valeurs communes à tout le monde. Nous sommes tous liés à la terre et je trouve dangereux que l’on ait appliqué le hors sol à l’humain. On assiste à une situation absurde où l’on voit les villes se remplir, et des humains, qui auront toujours besoin de se nourrir ne pas participer à la production et à la création de leur nourriture.

Vous placez donc l’agriculture au cœur d’un projet d’économie humaine ?

C’est une évidence, d’une grande simplicité : si la Terre meure, nous mourrons. Ce n’est pas plus compliqué que ça, si vous mettez des produits chimiques dans la terre, vous les retrouvez dans votre corps et ils vous détruisent.

L’agriculture que vous promouvez est une agriculture locale, qui implique de relocaliser l’économie. Que vous inspire l’expression « maillage du territoire » ?

Quand je voie les hordes de pousseurs de caddies qui vont dans les grandes surfaces pour acheter des aliments qui ont fait des milliers de kilomètres, alors qu’ils pourraient être produits là où ils sont consommés ! La nourriture ne doit pas voyager, la nourriture doit être quelque chose qu’une communauté humaine fait produire là où elle est. Il faut produire et consommer localement. Et cela dépasse la nourriture, j’aimerai voir des artisans, des commerçants, de la petite industrie, tout ça relocalisé et non dans cette folie du transport du Nord au Sud, du Sud au Nord, d’Est en Ouest. Tous les jours, en permanence, cela détruit les économies et l’environnement. C’est insensé.

Il n’y aurait donc rien à garder de la mondialisation ?

Tout dépend de ce que l’on entend par mondialisation. La mondialisation basée sur « qu’est-ce que je te vends, qu’est-ce que je t’achète », les délocalisations, les compétitions, ça, c’est absurde. Mais la mondialisation qui part sur un autre esprit, celui de la planète perçue comme un village global dans lequel on va instaurer de la solidarité, de la réciprocité, on va prendre soin de la terre, en y mettant de l’amour, ça, c’est autre chose. C’est cette mondialisation là que je souhaite.

Dans votre action, qu’entendez-vous par alternative agroécologique ?

C’est un concept que j’ai proposé au Burkina Faso en 1981, quand je suis allé dans ce pays et que j’ai vu ces paysans à la fois ruinés par les engrais et confrontés à des changements climatiques qui ont ruiné leurs sols. J’ai alors proposé l’agroécologie pour répondre à deux nécessités : une agronomie, c'est-à-dire comment se nourrir mieux, restaurer les sols, les rendre fertiles, etc. et de l’autre côté, comment intervenir sur un milieu naturel détruit, c'est-à-dire comment reboiser, lutter contre l’érosion, gérer l’eau fluviale, etc. Dans mon esprit, le concept s’est donc naturellement élargit à l’agroécologie, car les paysans du Sud ne pouvaient pas se contenter que de cultiver dans un environnement détruit. L’agroécologie a donné une extension là-bas mais aussi ici : aujourd'hui, on sait qu’il ne faut pas seulement faire de l’agriculture, il faut soigner la nature et la protéger, gérer les ressources globales, en somme, avoir un rapport juste avec la vie et le vivant.

Vous montrez bien à travers l’exemple du Burkina Faso et de l’agroécologie que l’on peut apprendre de Sud.

Oui, tout à fait. Ne serait-ce que quand je vois comment est gérer le territoire français où l’on voit les terres massacrées, où l’environnement est livré à la spéculation. Il n’y a pas de préservation du territoire qui prenne en compte le bien indispensable aux générations futures, qui ne préserve pas le patrimoine vital, l’agroécologie intègre tout ça. C’est pour ça qu’il faut qu’elle soit une politique planétaire comme alternative au tout-argent. Aujourd’hui, l’humanité est folle de la finance et de l’argent, elle va se détruire. Comment voulez-vous que l’on puisse s’en sortir tant que l’on donne à l’argent un pouvoir absolu sur notre destin ? Si l’on ne sort pas de cette logique, on va aller jusqu’au bout dans ce sens, et jusqu’au bout, ça veut dire l’extinction de l’espèce humaine. Après tout, il y a d’autres exemples d’espèces qui se sont éteintes. Même meurtrie par nos actions, la planète va continuer d’exister. J’ai parfaitement intégré que l’humanité va se faire éjecter par des lois qui sont plus fortes qu’elles.

Ce n’est pas très optimiste…

Au contraire, cela me motive pour continuer. Et je vois d’ailleurs les prémices de quelque chose, grâce aux gens qui viennent échanger, débattre lors de mes conférences. Ca me donne de l’espoir. Les fondements des changements sont là, la conscience profonde est intégrée. Ma campagne électorale de 2002 avait pour slogan « Appel à l’insurrection des consciences ». Aujourd'hui, il faut interpeller les individus, car quand chaque être humain vivant se sent interpellé personnellement par les responsabilités qu’il a à l’égard de lui-même, de ceux qui l’entourent et de la vie, l’humanité pourra avancer. On aura fait un réel progrès lorsque l’on aura mis en évidence qu’il ne peut pas y avoir de changement de la société sans changement de l’être humain. La grande illusion est de croire qu’il suffit de changer de politique pour que notre histoire puisse changer. L’histoire est déterminée par nous, nos émotions, notre subjectivité, et il faut travailler activement à ce niveau là. Car il ne s’agit plus de rafistoler le système, mais bien de changer de paradigme et amener un changement humain profond. Si ces deux conditions sont réunies, je pense qu’à ce moment-là, il y a de l’espoir pour l’humain.

Pour aller plus loin...

Autobiographie de Pierre Rabhi, sur son arrivée en France et son expérience dans les Cévennes : Du Sahara aux Cévennes, Itinéraire d'un homme au service de la Terre-mère, paru en 2002 chez Albin Michel.

Site officiel du Mouvement Colibri pour la Terre et l'Humanisme

Claire Sejournet

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