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Rentrée au CP: l'accompagner dans l'apprentissage de la lecture sans stresser

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Les parents ont un rôle important dans la transmission du goût de la lectures à leurs enfants
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Marie Quartier
Marie Quartier
Mis à jour le 25 février 2021
Cette année, il ou elle rentre au CP, chez les "grands". Pourquoi enseignants et nous, parents, mettons-nous autant de pression sur les frêles épaules de nos apprentis lecteurs ?

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Nous le savons tous, l’élève qui sait bien lire et surtout qui aime bien lire, est considérablement avantagé dans toute sa scolarité, car c’est une compétence transversale, nécessaire à presque toutes les matières. Or nous savons aussi que nous avons en France de piètres résultats dans ce domaine et que notre pays est à la traîne des pays européens dans cette compétence essentielle.

Pourquoi ? 

Dans notre pratique quotidienne, au Centre de Recherche sur l’Interaction et la Souffrance Scolaire, nous recevons les parents de ces élèves dont les apprentissages se passent mal, dans la douleur, dans l’échec et qui nous racontent souvent comment leur enfant a commencé à souffrir avec l’apprentissage de la lecture au CP.



Pour suivre les injonctions de l'enseignante, la maman de Lucas l'a peu à peu dégoûté de la lecture



Il y a cette jeune maman, dont le petit garçon autrefois si vif, si curieux de tout, a rejeté en bloc tous les livres et toutes les lectures à la fin du CP. "Quand Lucas avait 4 ans, me raconte sa maman, je l’avais emmené voir l’exposition sur le corps humain à la Sucrière. Et ça le passionnait, il savait tout, comment ça fonctionnait, comment s’appelaient les différentes parties du corps... il avait tous les "Kididocs" sur le sujet ! Il était très enthousiaste, tout l’intéressait, l’astronomie, les saisons, la terre, les insectes... !

À son entrée en CP, je me suis dit "Lucas, il va adorer la lecture, ça va lui ouvrir toutes les portes de la connaissance qui lui sont encore fermées..."

Alors je suis arrivée à la réunion parents-profs, au début de l’année scolaire, dans notre petite école de quartier. C’était une enseignante qui utilisait une méthode ludique et syllabique. J’y étais très favorable, et c’était une femme fort sympathique.

Elle nous a expliqué que chaque soir l’enfant aura une fiche de lecture, que le parent doit lui faire lire trois fois obligatoirement, même s’il a déjà bien lu la première fois, "puis vous signez en bas lorsque c’est fait. On a besoin de votre aide" disait-elle, "si vous voulez que votre enfant réussisse, le CP est une classe très importante, c’est là que se font les apprentissages de base. Vous devez être derrière lui, accompagner votre enfant, ne jamais le lâcher." 



Cette jeune maman consciencieuse et aimante - comme tous ces parents que nous voyons en consultation - a donc suivi scrupuleusement le programme de la maîtresse. Au début, Lucas était content, le travail à la maison se passait bien, mais il a de moins en moins eu envie de le faire : arrivé à Noël, il n’avait plus du tout envie de le faire. 



"S’il n’a pas appris à lire à la fin du CP, c’est toute sa scolarité qui sera compromise". 

Sa perte progressive d’intérêt a alarmé la maman qui s’est rigidifiée pour obéir aux injonctions de l’enseignante : elle a raisonné son petit garçon, elle a insisté, elle l’a forcé, elle l’a grondé, menacé de punitions... puni ... puis supplié... puis elle en arrivait même à l’insulter ... "Je vous passe les atrocités qui sortaient, me dit-elle, comme des crapauds de ma bouche..."

Et elle me dit les larmes aux yeux "comment en suis-je arrivée là, à passer des moments aussi atroces avec lui dès la classe de CP !". Aujourd’hui encore - il est en CM1 - Lucas ne lit pas les modes d’emploi des jeux auxquels il veut jouer... il ne les a pas installés car il fallait lire la notice ! Son dégoût de la lecture est plus grand que la frustration qui consiste à ne pas pouvoir jouer. 

Déjà au CP, s’il cherchait un produit dans la cuisine, par exemple sel ou poivre, il refusait de lire sel ou poivre.

Et son adorable maman lui disait "tu vois comme c’est utile la lecture, comment vas-tu t’en sortir dans la vie si tu ne peux pas distinguer le sel du poivre !". Mais ça ne servait à rien. 

"C’était tellement douloureux pour moi, me dit cette jeune et jolie maman, très émue. Mon petit garçon qui avait toujours été si curieux, si avide de connaissances et qui me répondait "j’aime pas lire, j’aime pas apprendre, j’aime pas l’école".

Et l’enseignante, que j’estimais beaucoup et qui aimait beaucoup mon fils, m’a dit une chose terrible : "il ne faut rien lâcher Madame, vous devez être derrière lui, car s’il n’a pas appris à lire à la fin du CP, c’est toute sa scolarité qui sera compromise."   

Que pouvais-je faire d’autre que lui obéir ?

Et aujourd’hui la relation entre mon fils et moi, entre mon fils et l’école, est si dégradée, que c’est un gamin qui ne fait plus rien en classe, qui ne fait pas ses devoirs et qui coule lentement à la dérive en m’inventant toujours de nouveaux mensonges et de nouveaux prétextes pour son travail mal fait et ses mauvaises notes... je ne sais plus quoi faire, je baisse les bras et j’ai le sentiment d’être une très mauvaise mère, que je le gronde, ou que je me taise..." 

Oui, c’est une souffrance terrible pour une mère aimante, pour un père aimant, que de voir son enfant se dégoûter progressivement de l’école et des apprentissages. Surtout, peut-être, lorsqu’il manifestait une curiosité naturelle si vive auparavant, comme notre petit Lucas. 

Que s’est-il donc passé dans cette situation ? Situation qui est emblématique à mes yeux de ce qui se passe pour beaucoup de parents et d’enfants autour du CP et de l’apprentissage de la lecture. 



Les blocages viennent plus souvent d'un problème émotionnel et relationnel que psychique



Au vu des redondances que nous observons lors de nos consultations au CRISS, nous voyons clairement, pour notre part, que le problème est émotionnel et relationnel. Bien des professionnels de l’enfance diront le contraire et poseront des diagnostics intrapsychiques sur ce petit Lucas : précoce, dyslexique, sans doute un peu dyspraxique...

Autant d’étiquettes qui soulagent vaguement les parents et pathologisent l’enfant. Au CRISS, nous les refusons. Catégoriquement. Non parce qu’elles seraient fausses, mais parce que du point de vue constructiviste et pragmatique qui est le nôtre, elles sont aggravantes.

Elles valident l’idée que ce petit garçon a des problèmes et lui envoient donc ce message déresponsabilisant : on va te prendre en charge. 

Lorsqu’on réfléchit bien, on s’aperçoit que c’est exactement le message que d’emblée, la maîtresse de CP a envoyé à la maman : "Vous devez prendre en charge votre enfant, pour les devoirs du soir et l’apprentissage de la lecture".

Et c’est ce qu’a fait la maman, au point de faire passer cette obligation avant toute autre considération relationnelle ou émotionnelle, tant l’angoisse de ne pas être une bonne mère était stimulée par le contexte scolaire ! 

Attention, je ne voudrais surtout pas jeter la pierre aux enseignants !

D’abord car personnellement je les aime beaucoup, j’en ai vénéré certains en tant qu’élève, je les ai appréciés en tant que collègues lorsque j’étais moi-même enseignante et je leur suis infiniment reconnaissante aujourd’hui, depuis que je suis moi-même maman d’élève. Je pense sincèrement que c’est l’un des métiers où l’on donne le plus de soi-même, pour une gratification extrêmement modeste.



Plus qu’un travail, c’est un engagement de toute sa personne qui est nécessaire pour vivre au quotidien avec ces classes nombreuses d’enfants ou d’adolescents, qui ne sont pas faciles du tout, nous le savons. D’ailleurs, l’enseignante du petit Lucas était une bonne enseignante, qui consacrait à son métier tout son cœur et qui s’intéressait sincèrement et avec beaucoup de bienveillance à ses élèves. 



68% des parents favorables aux devoirs en primaire



Elle était persuadée de bien faire, en poussant les parents d’élèves à surveiller de près le travail de leurs enfants. Par ailleurs, combien de parents d’élèves ne demandent-ils pas aux enseignants de donner beaucoup de devoirs et de les tenir au courant lorsque leur enfant ne les a pas faits ? Combien de parents d’élèves sont opposés à ce que la loi de 1956 soit enfin appliquée, à savoir "pas de devoirs à l’école primaire ?"  

68%, si mes sources sont exactes... 

C’est donc un phénomène interactionnel, qui fonctionne en boucle, où l’angoisse des uns stimule le zèle des autres, et où les adultes se mobilisent à qui mieux mieux pour mieux démobiliser l’enfant. Car cet enfant, quel message reçoit-il dans l’affaire ?

Celui que son apprentissage de la lecture est l’affaire des adultes qui le prennent en charge. Soyons logiques : ce n’est donc pas le sien. De plus, lorsqu’on prend en charge quelqu’un, qu’il s’agisse d’un enfant, d’un adolescent ou d’un adulte, on lui envoie systématiquement deux messages. Le premier est explicite et évident : c’est "je t’aime, tu comptes pour moi, c’est pourquoi je veux que tu réussisses !". Le second est implicite, et de ce fait encore plus puissant et marquant : c’est "sans moi, sans mon aide, tu n’es pas capable". 



Dès le CP, l'enfant doit se prendre en charge seul pour prendre confiance



Nous disons toujours au CRISS que c’est dès le CP que l’enfant doit prendre en charge, tout seul, sa scolarité et ses apprentissages. Car ainsi il construit une confiance en ses propres ressources, qu’il apprend à connaître et à enrichir.  

Est-ce à dire que le parent doit l’abandonner à lui-même ? Oui, dans un sens. De la même manière que le parent va lâcher la main de l’enfant qui apprend à marcher. Ce qui implique qu’il puisse tomber et se faire mal. Rien de grave, vous en conviendrez. 

En réalité, ce que nous disons plus précisément, au CRISS, c’est que la posture la plus juste, chez le parent, c’est la disponibilité. C’est une attitude relativement passive, qui consiste simplement à répondre à la demande d’aide de l’enfant, si celui-ci demande de l’aide. Mais en aucun cas à anticiper cette demande, ni à contrôler ses apprentissages. 



À l’inverse de la prise en charge qui associe l’amour à l’inquiétude et à la dévalorisation, elle associe l’amour à la confiance et à la responsabilisation. Car cette posture s’accompagne à la fois d’une infinie bienveillance envers l’enfant et d’une totale impuissance du parent sur le terrain scolaire. Impuissance ne voulant pas dire désintérêt. Elle implique précisément que le parent, tout en étant à l’écoute de son enfant lorsque celui-ci lui parle de l’école, lui laisse assumer les conséquences de ses actes dans le domaine des apprentissages. 



Ne pas s'interposer entre l'enfant et l'enseignant



En effet, ce domaine lui appartient et doit lui appartenir exclusivement. C’est une affaire entre l’élève et l’enseignant. En aucun cas le parent ne doit se dresser entre ces deux acteurs pour protéger l’un ou renforcer l’autre, ni s’ériger en maître ou en maîtresse bis à la maison, en imposant par son attitude une extension du domaine scolaire dans l’espace domestique, si ce n’est pas l’enfant qui en fait la demande ! 

Pour ce qui est de la lecture, voici ce que j’ai dit en substance à la maman de Lucas :

"Madame, si vous voulez redonner une petite chance au désir de lire de votre fils, vous devez lâcher votre propre désir qu’il lise. Car si le vôtre est trop fort, le sien ne peut que s’atrophier."

C’est comme si on tirait sur la tige d’une plante pour la faire grandir : aucun jardinier ne s’y risquerait. Pourquoi donc faisons-nous cela avec nos enfants ? Pourquoi donc pervertissons-nous l’apprentissage, cet instinct naturel du jeune être humain, qui devrait s’accomplir de manière aussi processive, et irrégulière dans le temps d’un enfant à l’autre, que l’acquisition de la propreté ou de la marche ? 



"Donc chère Madame, je vais vous demander de dire la chose suivante à votre fils : "toi, tu n’aimes pas lire, donc surtout ne lis pas !" Et s’il vient vous demander de l’aide pour ses lectures scolaires dites-lui bien : "c’est moi qui vais lire, car moi j’aime bien ça, ça me fait plaisir". Et vous lui faites la lecture à voix haute."

Oui, les parents ont un moyen incroyablement puissant de faire aimer la lecture à leurs enfants, et c’est cela que devraient leur prescrire les enseignants, au lieu des devoirs du soir : lire à voix haute une histoire qui plaise à leur enfant. Je dis bien "qui plaise".

Si votre enfant aime Spiderman, je vous en prie, ne lui dites pas "c’est nul, on va plutôt lire une histoire du Père Castor", non, lisez-lui Spiderman !

 

Et avec le ton, avec l’enthousiasme, avec l’humour, avec toute la chaleur affective que vous pouvez avoir dans la relation avec lui ! Votre enfant aimera la lecture, car il aime votre voix, car il aime ces moments passés avec vous autour d’un livre ou d’un magazine, car il aime sentir que cela vous fait plaisir... encore faut-il que ce soit le cas, sinon abstenez-vous !

Et je le dis très sérieusement ! Rien de pire qu’un plaisir simulé par le parent, l’enfant ne s’y trompe pas... 

Ce que je voudrais que les parents comprennent, c’est que de leur part, la transmission à l’enfant se fait sur un mode secondaire, comme l’expliquent très bien les chercheurs du Mental Research Institute de Palo Alto, sur la base des travaux de Gregory Bateson. Ce que l’enfant capte avant tout, c’est la relation avec le parent, ce sont les émotions qui s’en dégagent... Si le parent a lui-même du plaisir à lire, toute son attitude dégagera ce bien-être qui marquera l’enfant de son empreinte.

Retrouvez Marie Quartier sur le site du CRISS, Centre de recherche sur l'interaction et la souffrance scolaire. 

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