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Pierre Rabhi : "Je suis le père, le fils et l'amant de la Terre"

Pierre Rabhi
Pierre Rabhi, penseur, écrivain et paysan pionnier de l'agroécologie en France
Merci Pierre Rabhi
Audrey Etner
Audrey Etner
Mis à jour le 25 février 2021
Penseur, écrivain et paysan pionnier de l'agroécologie en France, Pierre Rabhi est engagé depuis quarante ans au service de l'homme et de la nature. Rencontre avec un précurseur du monde de demain.

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Avec Michel Valentin, fondateur des Amanins, parti trop tôt...La terre nourricière de Pierre Rabhi se trouve dans sa ferme de Montchamp, en Ardèche. Aujourd'hui, un film lui est consacré : Au nom de la Terre

Pouvez-vous nous expliquer ce paradigme qu'est la sobriété heureuse ?

Nous sommes aujourd'hui dans une situation d'excès en tout, de surconsommation, de dissipation énorme des ressources. Pourtant de très grandes disparités persistent. D'un côté, les affamés qui n'ont pas un accès normal à la nourriture, puis des gens dans une situation moyenne, enfin une minorité en haut de la pyramide qui concentre la majorité des ressources de la planète. 

Nous nous trouvons engagés dans un processus de croissance économique qui fait de nous des prédateurs insatiables et surtout sans joie. Quand je me rends dans les pays pauvres, les gens sont beaucoup plus joyeux que dans les pays dits "riches" dans lesquels la consommation de tranquillisants et d’anxiolytiques bat tous les records. Il y a donc une misère malgré "l'avoir". C'est pour cette raison que je me suis dit qu'il fallait maintenant construire le monde, l'avenir et le "vivre ensemble" de l'humanité sur la sobriété, ou ce que j'appelle aussi la "puissance de la modération". 

Vous êtes le pionnier de l'agroécologie en France. Où en êtes-vous de votre quête aujourd'hui ?

L'agroécologie a commencé pour moi par l'agriculture biologique : produire en respectant la terre. Dans ma démarche, je prends en compte le fait que la terre est vivante et que je dois la maintenir en vie. Plutôt que de mettre des produits chimiques toxiques, je rassemble des matières organiques et les transforme en humus, qui est le fondement des rebondissements de la vie. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le mot humus a la même étymologie qu'humanité et humilité ! 

À l'agriculture biologique on ajoute des pratiques complémentaires : reboiser autant que possible, lutter contre l'érosion car lorsque les sols sont dénudés, la pluie n'est pas retenue et s'en va en emportant la terre. Il existe des systèmes de gestion de l'eau pluviale qui l'oblige à s'infiltrer dans le sol pour recharger les nappes phréatiques. Ainsi, l'eau est gérée correctement, considérée comme précieuse. On régénère l'environnement. 

Pour transmettre l'agroécologie, j'ai créé plusieurs structures : Les AmaninsTerre & HumanismeGorom-Gorom etc. Je relate tout cela dans mon livre "L'offrande au crépuscule". 

Bien sûr, je passe parfois par des périodes de doutes où je me demande comment continuer. Je ne veux pas renoncer à mon rôle d'avocat car je veux que l'humain et la terre soit respectés. D'un côté le monde se dégrade à toute vitesse, et de l'autre on fait ce qu'on peut. Mais il ne s'agit pas de baisser les bras. Cela a été la proposition des Colibris, de faire chacun sa part.

Mes amis me disent souvent : "Tu as assez fait, arrête-toi !". Mais c'est un engagement humain, moral et éthique auquel je ne peux pas renoncer tant que j'ai la force d'y répondre. Alors je poursuis mon chemin et je continue à écrire et à donner des conférences. 

Nous sommes également en train de créer un fonds de dotation destiné à collecter le maximum de moyens pour mettre en place des stratégies et accélérer le processus de propagation de l'agroécologie. En effet, elle se révèle être la meilleure solution pour répondre au problème de la faim dans le monde et à la protection de l'environnement.

Pourquoi le changement que vous prônez n'a-t-il pas encore eu lieu ?

Parce qu'il va à l'encontre d'énormément d'intérêts et de lobbies : ceux des fabricants d'engrais, de pesticides etc. Ceux-ci tirent un énorme profit de l'activité agricole et trainent des pieds pour remettre en question le modèle qui les nourrit. Malheureusement, l'état ne peut qu'être complice de ce système sur lequel il prélève des taxes. 

Je ne suis absolument pas sûr que nous allons "triompher" mais pour moi, c'est une question de cohérence. Je pense que la nature mettra les limites à toutes nos folies et nos exactions. Pour ma part, je veux rester cohérent. Je ne suis pas né pour le PNB mais pour autre chose. 

Ma démarche ne date pas d'aujourd'hui et s'est inscrit pour ma famille et moi dans notre retour à la terre en 1961. Nous nous sommes installés à nos risques et périls dans notre ferme de Montchamp. Sur cette ferme, nous avons réalisé toutes nos expériences de l'agriculture respectueuse de la vie, l'agroécologie. Je tiens absolument à cette cohérence. Ne pas rester mobilisé contre le monde qui détruit la vie serait me renier moi-même. 

Vous êtes cité en exemple de nombreuses personnes. Et vous, qui vous inspire ?

Comme tout le monde, je me suis nourri auprès des uns et des autres. J'ai lu Osborne avec La planète au pillageRudolf Steiner et bien d'autres encore. Chaque génération a ses propres maitres et précurseurs et ce sont eux qui m'ont inspiré. 

Le fait d'être un oecuméniste me place au cœur même des phénomènes de la vie. Je les observe directement et pas seulement à travers des livres. Je me suis mêlé à la nature par ma vie d'agriculteur, et quand je pétris ma terre, la terre me pétrit. C'est comme une étreinte entre nous. 

C'est un rapport charnel entre la terre et vous ?

Oui, en effet, on pourrait presque parler de rapport charnel à la terre, dont je me considère à la fois le fils, le père et l'amant. Tout cela circule dans la même logique. Au moment où je prends soin de ma terre, je suis un peu son père. Puis elle me nourrit alors je suis son fils. Et enfin il y a de l'amour, comme un homme peut le ressentir pour une femme, dans l'authenticité, là où l'esprit et le cœur sont ensemble. 

Vous qui êtes si conscient des tristes réalités qui abiment notre planète, parvenez-vous à prendre de la distance ?

Je continue à agir mais il a bien fallu que j'apprenne à me protéger car je souffrais trop de voir tant de violences : l'homme contre l'homme, l'homme contre la nature... Notre planète est un champ de bataille permanent ! J'en ai été profondément blessé et cela a stimulé mon engagement.

En même temps j'ai réalisé que je ne pouvais pas être dans la douleur permanente si je voulais être utile à ma mission. Je suis donc partagé entre "Je ferai jusqu'au bout, à l'instar du colibri, du mieux que je peux avec un amour profond de la vie", et en même temps je ne suis qu'un petit être... J'ai appris, à cause de la souffrance et du déséquilibre dans lequel je me trouvais, à me préserver. Par ailleurs, je pense qu'il ne faut pas trop se prendre au sérieux. Il faut savoir relativiser tout en gardant le sérieux dans ses actions. 

Si vous étiez avec moi aujourd'hui, je vous aurais montré ma collection de Bibi fricotin, une bande-dessinée qui n'est plus éditée aujourd'hui. Tous les soirs, je regarde un film léger, pas trop sérieux, pas trop compliqué, parce que je veux vraiment me détendre. Cela me permet aussi de me connecter à la réalité. 

Une chose que je ne manque aussi jamais quand je suis chez moi, c'est d'aller au marché, ce lieu de convivialité. J'y retrouve mes amis, l'ambiance du pays. Nous sommes dans un monde aseptisé où les gens poussent des caddies dans des supermarchés et il n'y a plus cette relation conviviale si intéressante pour laquelle je milite. Notre monde a énormément développé les communications au détriment de la relation. 

Vous placez tous vos espoirs dans la société civile, puisque la politique s'acharne dans un modèle obsolète. Quelle est cette lumière au bout du chemin ? Quelle est cette pensée nouvelle, quelles formes prend-elle ?

Je constate qu'il y a beaucoup de gens qui innovent, qui font des choses dans leur petit coin. C'est sans bruit, mais néanmoins réel, comme une alchimie tranquille qui se fait ici ou là par la volonté de ces "transgresseurs", ces gens qui sont dans leurs utopies. Cette société civile est devenue comme un grand laboratoire dans lequel s'expérimente le futur. De nombreuses thématiques ont déjà été travaillées : agriculture, éducation des enfants, nutrition, médecine, énergies. Beaucoup de choses s'élaborent sur un schéma directement inspiré par le vécu des gens, par ce qu'ils ressentent, et ça c'est magnifique !

De l'autre côté, la politique s'acharne sur un modèle qui, une fois dans la réalité, est déjà mort. On le maintient sous perfusion au risque de toutes les catastrophes. Je précise que quand je parle de politique, je m'interdis tout jugement sur les individus. Ils sont dans leur voie, dans leur chemin et gèrent leur destin. Mais la politique telle qu'elle s'exerce n'est pas du tout en phase avec la réalité. 

Je ne demande pas des miracles mais que l'on puisse mettre en perspective le fait qu'il faut sortir du modèle. Impossible ! On me rétorque qu'il y a la croissance, et c'est cette logique qui est tout le problème. Cet aveuglement m'afflige beaucoup mais la société civile est là pour changer les choses. J'ai relaté cela dans Eloge du génie créateur de la société civile.

L'espoir d'une mutation profonde est là. Mais si l'être humain ne change pas, on ne changera pas grand chose. Je maintiens cela comme un crédo très fort car on peut très bien manger bio, recycler son eau, se chauffer à l'énergie solaire et exploiter son prochain. Le problème est aussi là aujourd'hui : attention à ne pas croire qu'on change le monde parce qu'on met des panneaux solaires sur son toit. Il faut être interpellé par le fait que c'est le changement humain qui produira le changement de tout le reste. Sinon on ne fera qu'adapter les choses à l'humain qui n'a pas évolué. 

Le changement passe-t-il par les femmes selon vous ?

Oui absolument, le changement passe en grande partie par les femmes et cette question est fondamentale car le monde est organisé autour de valeurs masculines violentes. Il faut rééquilibrer le masculin et le féminin. 

Dans le Sahel, quand nous étions en situation de survie, l'énergie féminine a toujours été la plus puissante. Une femme s'occupe de la vie, avec l'enfant sur le dos, sur ses genoux, l'enfant qu'elle doit nourrir, qu'elle allaite. Moi j'ai un amour sans borne pour les femmes à qui j'ai dédié "Offrande au crépuscule". C'était également l'objet de la campagne électorale "Tous candidats en 2012" : le féminin au cœur du changement

À ce propos, nous sommes en train de créer le mouvement des femmes semencières. Pourquoi ? Depuis 10000 à 12000 ans que l'agriculture existe, les êtres humains n'ont cessé de prélever des ressources vivantes dans le monde sauvage pour les domestiquer. Ils ont augmenté le potentiel nutritionnel des végétaux et animaux. Ces semences se propageaient. Aujourd’hui elles ont déjà disparu à hauteur de 60 % à cause des chimères que sont les OGM. On est en train de commettre un énorme attentat contre l'humanité en supprimant ces semences vitales. Comment sauvegarder cela ? Par les femmes ! 

Je crois beaucoup à l'énergie féminine car c'est une énergie occultée, subordonnée, mais c'est l'énergie de la survie. Et si je m'en rends compte, c'est que je reconnais sans peine ma propre féminité tout en étant bien ancré dans mon côté masculin. C'est le féminin en moi qui rejoint le féminin de la femme pour porter cette énergie. 

Nous espérons que le mouvement des femmes semencières se propagera à l'international pour sauvegarder la biodiversité ! 

Cet article est extrait de votre magazine FemininBio sur iPad d'avril 2013

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