Cet article a été publié dans le magazine #37 novembre-décembre 2021
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Éric Antoine a vraiment la carrure de sa grandeur d’âme. L’illusioniste, dont l’immense talent n’a d’égal que la joie de vivre, s’est par bonheur invité depuis plusieurs années dans le quotidien des Français. Juré de l’émission de télévision La France a un incroyable talent, diffusée sur M6, il y dévoile sa profonde gentillesse envers les candidats qui viennent tenter leur chance. Au gré de ses émotions, il emmène sur scène le spectateur vers une autre approche de la magie. Poétique et incarnée.
FemininBio : Comment la magie s’est-elle invitée dans votre vie ?
Éric Antoine : La magie revêt un sens très particulier à mes yeux. C’est une rencontre, un alignement de planètes, une synchronicité qui transforme et bouleverse.
Ma première synchronicité magique fut la rencontre avec un prestidigitateur. Par sa virtuosité, son savoir multidimensionnel, il utilise des trucages pour créer l’émotion. J’avais 7 ans, ma mère fêtait ses 30 ans, et un magicien s’était mêlé au repas de famille. Alors qu’il se mettait à faire des tours de plus en plus impressionnants, j’assistais, ébahi, à la transformation de l’ambiance, jusqu’alors plombée. Réunir toutes nos personnalités au-delà des débats d’idées, c’est ça le plus grand tour de magie !
Qu’est-ce qui vous a décidé à pratiquer la magie ?
Cette rencontre avec le magicien m’a fait passer ma première nuit blanche, tant elle avait attisé ma curiosité. J’ai trouvé tellement passionnant de chercher à comprendre comment tout cela fonctionnait, comment la pièce pouvait être dans sa main puis dans le soutien-gorge de Tatie Jacqueline (rires), comment créer l’extraordinaire avec des moyens issus de l’ordinaire. Il y a une émotion magique dans cette enquête policière que crée l’illusionniste.
C’est un peu plus tard, vers l’âge de 13 ans, dans la plus ancienne boutique d’accessoires de magie au monde, Mayette Magie Moderne, à Paris, que j’ai acheté mon premier tour et que j’ai commencé à m’y mettre.
C’est la curiosité qui vous a fait continuer ?
J’adore ce mot. Curiosité, vient du latin cura qui veut dire soigner. Le curieux est celui qui pose des questions, et prend soin des autres. Pour moi c’est la plus belle des qualités, et je déteste cet adage que l’on dit aux enfants : " La curiosité est un vilain défaut. " La curiosité est toujours là, en moi, aujourd’hui. Je me demande toujours : " Pourquoi ? Comment ? Vers quoi ? " Ces deux dernières questions sont les plus importantes, car parfois il n’y a pas de pourquoi.
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" Vers quoi " décrit l’envie, au-delà du désir, cet objectif un peu inatteignable. Une envie de virtuosité, d’acte artistique absolu, d’amour infini. C’est une tension vers un rêve qui n’est pas là, c’est une direction, au-delà de la motivation. L’envie se situe à la pointe de nos intentions, au-delà du désir, car tous nos désirs se résument à notre envie profonde. Cela peut-être l’envie de se dépasser, de liberté, de création, de découverte, par exemple. Ce " vers quoi " est l’essence que l’on met dans notre moteur.
Quel est votre " vers quoi " aujourd’hui ?
L’orgasme festif, c’est le premier sous-titre que j’avais apposé à mes spectacles. Cette envie d’exploser de joie à la Vie. Cette espèce de jouissance orgiaque d’être ensemble et de célébrer le vivant. Ce " vers quoi " s’est un peu affiné en moi avec le temps. Vers une quête de poésie, de douceur. C’est pourquoi j’ai écrit ce spectacle Grandis un peu ! avec la question : L’enfant que j’ai été serait-il fier de l’adulte que je suis devenu ?
L’enfant a un rapport délicat au monde, dans lequel tout est espace à émerveillement. En magie, on utilise beaucoup le détournement d’attention. L’alternance entre signal fort et signal faible. Un grand mouvement en camoufle un petit, une parole forte cache un murmure. Nous, humains, sommes très sensibles au signal fort, au spectaculaire. La joie est moins forte que la peur en matière d’intensité. Les petits plaisirs quotidiens, la main d’un ami dans le dos, le sourire d’un enfant… Tout cela s’efface sous la musique tragique des chaînes d’info, par exemple.
Ma quête d’aujourd’hui, mon " vers quoi ", est de redonner vie à ces signaux moins audibles, mais tout aussi importants, que nous perdons à l’âge adulte.
Avez-vous répondu à cette question que pose votre nouveau spectacle ?
J’en suis à ma troisième psychanalyse, et l’on y discute beaucoup avec l’enfant intérieur. C’est d’ailleurs la dynamique principale de la psychanalyse, de se réconcilier avec cet être premier, de notre tendre enfance.
Avec le temps, je me réconcilie avec l’enfant que j’ai été. Nous passons de plus en plus de jolis moments ensemble. Je ne sais pas s’il serait fier, mais je pense qu’il se sentirait bien à mes côtés. Et je pense qu’on rigolerait bien. On réfléchirait bien, et on se ficherait bien la paix aussi parfois !
L’une de vos singularités réside dans le mélange de l’humour et de la magie. Pourquoi cette orientation ?
Magie et humour sont juste des moyens pour atteindre cette autre dimension dont nous parlons depuis le début. Ce " vers quoi ", cet essentiel. J’ai constaté que le magicien est en posture de supériorité. Il crée de la fascination mais pas d’émotion. L’humoriste, c’est l’inverse. C’est le meilleur copain. Il donne envie de passer une soirée avec lui. Sauf que l’humour, tout en détente, casse la magie, qui sous-entend prestige, tension, mise en scène.
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Pourtant, c’était un choix inéluctable car ce sont mes deux passions et je n’ai pas vu d’autres possibilités que de les exercer en même temps. Finalement, c’est ce qui m’a démarqué de tous mes collègues.
Quelle émotion particulière transmet cette alliance originale ?
Ce sont des écritures à la fois très riches et antinomiques. Le magicien nous entraîne à regarder vers le passé, on se demande ce qu’il vient de faire. L’humoriste, en revanche, nous oriente vers le futur, dans l’attente de la prochaine blague. Cela crée une tension du public très intéressante, tel un " strabisme du spectacle ", qui fait que l’on ne s’ennuie jamais.
Aujourd’hui, j’y ajoute une dimension poétique, avec de la douceur, de la musique, des effets visuels, des moments de respiration, etc. Ce sera l’objet de ce nouveau spectacle.
Vous êtes végétalien et très engagé pour la cause animale. Racontez-nous votre démarche.
Pour moi, ce fut un choix triple : écologique, de santé et d’empathie animale. Mon éveil à toute cette réalité a été progressif. Le documentaire Cowspiracy m’a beaucoup informé, notamment. Des informations sur lesquelles j’ai ensuite fait du sourcing pour les vérifier. Je ne pouvais plus ignorer cet esclavagisme du vivant.
Face à la vérité, je vois trois manières de réagir. Soit on l’occulte, soit on négocie, soit on la regarde en face. J’ai choisi de m’y confronter, même si cela reste à mes yeux un luxe, tant il faut avoir la possibilité de se poser ces questions‑là. Lorsqu’on est en détresse, et qu’on lutte pour sa vie, cette place n’existe pas forcément. C’est un sujet important, qu’il me tient à cœur de développer, car tout raccourci le rend vite caricatural.
Enfin, il m’a semblé qu’arrêter de manger de la viande et du poisson ne représentait pas un sacrifice énorme pour sauver notre planète entière, nos enfants, les écosystèmes, la Vie.
Vous qui maniez l’illusionnisme à la perfection, vit-on dans un monde d’illusion ?
J’en suis absolument convaincu. Nous vivons dans un monde d’illusion parce qu’on ne se rend pas compte de la souffrance de l’autre. L’illusion, c’est le manque d’empathie, le manque de questionnement. Dès que nous sommes curieux, nous sortons de l’illusion.
Ma mère disait : " Le papier ne refuse pas l’encre. " L’illusion est de croire ce qui est écrit parce que c’est écrit. L’une des grandes solutions à la souffrance est selon moi d’aller chercher la source de l’information. Qu’a-t-on appris par nous-mêmes finalement ? Très peu, voire absolument rien. On apprend tout par rebond, de quelqu’un d’autre qui nous l’a enseigné. À nous de nous mettre en quête de la vérité !
Pensez-vous que l’humain soit naturellement doté de magie ?
Je perçois de l’inexplicable, du mystérieux dans la Vie. Par exemple, sur le temple d’Isis, la seule déesse du mystère, est écrit : " Nul jamais ne soulèvera mon voile. " En réalité, elle n’a pas de voile. Le mystère avance dévoilé, là où le secret avance voilé. Il existe un inexplicable non voilé, qui est au cœur du mystère de l’humain.
Dans le spectacle digital créé pendant le confinement, Connexions, j’évoque la disparition de ma mère, Françoise, quand j’avais 29 ans. J’étais dévasté, en train de me recueillir sur sa tombe, lorsque mon téléphone se met à sonner. Je décroche malgré moi et j’entends : " Allô, c’est Françoise. " Le temps s’arrête. C’était Françoise Coquet, la productrice de Michel Drucker, qui est devenue ma " maman de télé ". Cette apparition est un exemple complètement magique et inexplicable de mon existence. Bien sûr, nos pouvoirs vont plus loin que les synchronicités. Magie des mots, du son, des énergies, de la prière, de la méditation, etc. De nombreuses choses m’interpellent dans les pratiques magiques et spirituelles.
Son actu
Éric Antoine jouera son nouveau spectacle Grandis un peu ! du 2 décembre 2021 au 16 janvier 2022 aux Folies Bergère.
Son site officiel : ericantoine.com