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"La liberté c’est savoir se fixer des limites justes pour chacun d’entre nous", l'interview de Frédéric Lenoir et Nicolas Hulot

Nicolas Hulot et Frédéric Lenoir
F. Lenoir :"Se reconnecter à la nature pour sentir, éprouver que l’on fait partie de ce monde, ce cosmos qui n’est pas juste un cadre dans lequel l’humain est vulnérable. "
Arnaud Meyer
Anne Ghesquière
Rédaction Audrey Etner / Interview Anne Ghesquière
Mis à jour le 25 février 2021

Nous sommes à la croisée de deux mondes : l’ancien, celui du consumérisme, des fractures sociales et des divisions, le nouveau, celui de l’harmonie du vivant. C’est le message du philosophe et sociologue Frédéric Lenoir et de l’écologiste humaniste Nicolas Hulot. Ensemble ils signent un ouvrage dans lequel ils abordent les raisons profondes de la crise, et le réveil des consciences nécessaire pour en sortir.


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FemininBio Magazine #31 - Novembre / Décembre 2020

Cet article a été publié dans le magazine #31 novembre-décembre 2020

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En révélant les failles de notre système, la crise sanitaire nous met face à nos contradictions et nous pousse à repenser nos modes de vie. Il est temps de redonner un sens à nos vies en questionnant les évidences qui nous conditionnent. À travers leurs parcours aussi variés que singuliers, deux penseurs de notre temps nous livrent leurs réflexions, d’un monde à l’autre.

Comment est né ce livre à quatre mains ?

Frédéric Lenoir (FL) : Si nous nous connaissons depuis de nombreuses années, c’est après son départ du gouvernement que j’ai eu une discussion avec Nicolas autour de l’importance décisive de ce qui accompagne le changement. Unir nos parcours, nos expériences, nos modes de pensée nous a semblé apporter quelque chose de plus riche, car nous sommes à la fois proches et très différents dans nos parcours de vie.

Nicolas Hulot (NH) : J’ai été beaucoup sollicité pour partager mon expérience, mais principalement pour raconter la petite histoire. J’ai aimé qu’avec Frédéric nous prenions un temps d’introspection et de réflexion au milieu ce monde dont la frénésie nous happe, pour en tirer des enseignements constructifs.

Nicolas, vous dites que le progrès est basé sur un mythe, quel est-il ?

NH :J’ai en tête cette formule qui dit “Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde”. Que sous-entend le mot "progrès" ? A-t-on fini par confondre les performances technologiques et ce qui est le sens profond du mot "progrès" c’est-à-dire l’amélioration de la condition humaine ? Nous avions une forme de conviction, qui est devenue une illusion, sur le couple avenir et progrès. Demain serait forcément toujours mieux qu’aujourd’hui, dans un mouvement irréversible.
Aujourd’hui on découvre que la marche triomphante du progrès à pris du plomb dans l’aile le jour où nous avons cessé de nous poser la question sur ce qui représente ou non un progrès.

Frédéric, on peut rapprocher le progrès du plaisir immédiat. Un grand chapitre est consacré au désir dans votre livre, et vous commencez par cette phrase de Spinoza : “Le désir est l’essence de l’homme.

FL : Rousseau avait pressenti cette dérive en disant que le progrès des connaissances et des techniques n’apporte pas forcément un progrès de l’humain, moral, spirituel. Il faut tenir compte de ces deux dimensions, en associant science et conscience. Si on se lève le matin c’est grâce à nos désirs, sans quoi on n’a pas envie de vivre.
Le désir est le moteur de l’existence humaine, mais vers quoi l’oriente-t-on ? Ce qui nous améliore ou ce qui nous détruit ? Il s’agit de modérer ses plaisirs, comme le disait déjà Épicure, d’aller vers une sobriété, qui est gage de qualité.

Pascal disait que le divertissement nous aide à oublier l’angoisse de mort. Qu'en pensez-vous ?

FL :La mort hante consciemment l’être humain tout en étant la condition de la vie. Il est important de d’abord l’intégrer sans la nier, et d’essayer de vivre le plus intensément possible, ce qui revient à l’idée de qualité. Essayons de faire de notre passage sur terre une expérience extrêmement belle, qualitative, poétique, en profitant de chaque instant.

NH : La vie ne peut être une négation de la mort. Il y a cette phrase très belle et terrible à la fois qui dit que “Les hommes vivent comme s’ils n’allaient jamais mourir, et meurent comme s’ils n’avaient jamais vécu”. À chaque instant nous devons donner un sens, mais pas dans une ébriété. Il est possible de se construire des moments de vie merveilleux à partir de choses excessivement simples.

La crise est une opportunité de changer de modèle sociétal, vers plus de sobriété. Nicolas, est-ce toujours votre appel ?

NH : Pour ceux qui n’ont rien, la sobriété peut sembler être une aspiration de privilégié. Il y a pourtant derrière ce mot la mise encause d’un système basé sur le toujours plus, et aussi la civilisation du gâchis. Dans tous les domaines nous procédons à des prélèvements inutiles sur le vivant, qui ne participent pas à éradiquer la souffrance humaine. Nous pourrions parfois diviser ces prélèvements par 10 ou 15 pour un confort égal. Retrouvons cette capacité que nous avons consciemment à nous fixer des limites dans un monde qui en a, celles de la nature, de la Terre. En prendre conscience est un véritable indice de civilisation.

Vous dites aussi que la liberté, c’est aller vers l’harmonie...

NH : L’harmonie est ce point sacré entre ce dont on a besoin et ce que la nature peut nous fournir. On dit que “celui qui sait se contenter de peu sait se satisfaire de tout”. Mais le peu n’est pas austère, c’est un sourire, une lecture, un regard, la beauté d’un geste, d’une transmission. C’est cet univers-là que nous devons revisiter.

FL : La liberté qui est de faire tout ce qu’on veut est une vision immature. La liberté c’est savoir se fixer des limites justes pour chacun d’entre nous, en fonction de ce qu’on est, et du sens que l’on donne à sa vie. Pour cela, il s’agit de découvrir que nous ne sommes pas libres intérieurement mais que nous pouvons le devenir par une connaissance de nous-mêmes et de la manière dont nous fonctionnons.

Vous avez travaillé sur le sujet de l’invisible et des forces silencieuses qui nous relient, inspirés par les peuples premiers. Quel rôle joue la spiritualité vers plus de discernement ?

NH : Cette dimension verticale qui nous fait défaut, je l’ai perçue quand j’ai pu côtoyer les peuples racines que l'on sent reliés. L’Homme "moderne” n’est plus relié à rien et se trouve dans un désarroi profond. La grande tragédie, c’est que notre monde s’est construit en croyant se libérer de la nature, mais en se privant d’une source d’épanouissement infinie. Nous nous sommes coupés de nos origines et vivons dans ce grand paradoxe de l’instant. En nous connectant à Internet, nous n’avons pas créé du lien, bien au contraire. Nous nous sommes perdus dans la profusion, dans l’hypertrophie technologique qui trouble notre interprétation de la réalité. L’un des grands préjugés des temps modernes dans lequel nous nous obstinons, c’est de penser qu’au sein de l’univers la vie est la norme. Mais la science nous a pour l’instant montré que la vie est l’exception et a trouvé en la Terre une matrice providentielle pour s’exprimer.

FL : L’humain faisait auparavant partie de la nature. Il y a 10 000 ans, lors de la sédentarisation, il a eu ce désir de dominer son environnement, notamment son alimentation, ce qui a complètement bouleversé son univers symbolique et de croyance. Une vision qui n’a fait qu’accentuer cette tyrannie de l’homme sur la nature, et que nous sommes en train de payer très cher. D’abord parce que la nature réagit lorsqu’on détruit ses écosystèmes, et aussi parce que l’homme n’a plus ce sentiment d’ancrage, de reliance, qui est devenu abstrait et le place dans une grande souffrance de solitude existentielle. C’est pourquoi l’une des choses les plus importantes pour moi dans cette dimension spirituelle, avant de parler de divin, c’est de se reconnecter à la nature pour sentir, éprouver que l’on fait partie de ce monde, ce cosmos qui n’est pas juste un cadre dans lequel l’humain est vulnérable.

“Ce qui s’agite dans l’âme humaine, c’est la quête de sens”, écrivait Hegel. C’est ce qui est au cœur de votre réflexion commune ?

NH : Ils’agit d’une étape fondamentale pour nos civilisations. Il y eut d’abord le saut de la vie, puis le saut de l’esprit, et enfin le saut du sens, qui donne à notre intelligence les moyens pour arriver à sa finalité. Dès lors nos décisions, nos comportements passent par le filtre du sens.
On n’a plus besoin d’inventer le feu, mais il nous faut savoir à quoi on destine nos actions. Cette quête appelle à notre conscience l’urgence du moment. Elle est partagée par une partie de la jeunesse d'aujourd’hui et je m’en réjouis. Cette nouvelle génération ne cherche plus seulement une reconnaissance sociale, mais du sens dans ses actions.

FL : Dans la notion de sens il y a la direction que l’on veut donner à nos actions, en fonction d’une signification de nos raisons de vivre. Cela touche la question des valeurs qui demande :"Qu’est-ce qui est essentiel et qu’est-ce qui est superflu pour moi ? "

Vous avez été inspirés par des héros vivants. Que vous ont-ils transmis de fondamental qui a pu modifier votre conscience ?

NH : J’ai eu cette chance incroyable de croiser dans ma vie Nelson Mandela, Théodore Monot, Vandana Shiva, Pierre Rabhi… Tous m’ont transmis leurs valeurs et j’ai construit mes propres réflexions à travers leur sagesse. J’en retiendrai deux qualités qui font d’eux des êtres rares : une profonde humanité associée à de l’humilité. C’est une telle leçon ! Toute ma vie sera une tentative désespérée de me rapprocher un peu d’eux.

FL : De mes douze rencontres avec le dalaï-lama, je retiendrai également deux choses : la compassion et l’humour, cette dernière est une qualité éminemment spirituelle qui permet de mettre le tragique à distance.
Cette faculté de créer de la convivialité est une vertu fondamentale du dalaï-lama dont le peuple vit une tragédie depuis des décennies.

Retrouvez l’intégralité de cet entretien avec Frédéric Lenoir et Nicolas Hulotau micro d’Anne Ghesquière dans Métamorphose, le podcast qui éveille la conscience.

D'un monde à l'autre
(©Editions Fayard)

D'un monde à l'autre, le temps des consciences,de Nicolas Hulot et Frédéric Lenoir, est paru aux éditions Fayard.

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