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Frédéric Lenoir: "Le bonheur est un état d'être, la joie est une émotion"

"Voir dans chaque chose ce qu'elle peut avoir de positif est une belle philosophie de vie"
Eric Garault
Claire Sejournet
Claire Sejournet
Mis à jour le 25 février 2021
Philosophe, sociologue et écrivain, Frédéric Lenoir se passionne pour l'être humain, sa complexité et son rapport au monde. Résolument optimiste, il s'appuie sur la philosophie pour "penser mieux et vivre mieux".

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Comment différencier la joie et le bonheur ?
Ce dernier renvoie à la sérénité, à l’absence de troubles. Ainsi, pour les épicuriens, les stoïciens et les bouddhistes, être heureux, c’est ne plus être soumis aux événements extérieurs, se détacher de tout ce qui peut nous arriver, que ce soit agréable ou désagréable. La joie invite au contraire à vivre pleinement les émotions et les plaisirs de la vie, avec ses hauts et ses bas.

Y en a-t-il un plus facile à vivre ?
On ne peut pas chercher à les comparer, leurs réalités sont différentes. Il y a des gens qui sont plus dans la recherche d’une harmonie, de la tranquillité, et d'autres qui vivent à fond, qui ont plus besoin d’être dans les passions, dans l’émotion.

De quel côté êtes-vous ?
Je suis plutôt dans la joie. Je préfère souffrir mais vivre des choses très intenses que vivre dans une sorte d’ascétisme et de détachement permanents. Cela n’empêche pas de travailler les deux : j’essaie de ne pas être dans la passion mais je vis mes émotions pleinement. Bonheur et joie peuvent cohabiter : il y a de la joie qui vient du détachement, et si vous êtes profondément engagé dans la vie, il faut aussi savoir s'en détacher.

Le taoïsme est une sagesse qui vous parle particulièrement. Pourquoi ?
Elle nous recommande de ne pas chercher à contrôler la vie ni à forcer les choses, à suivre le mouvement de la vie. Les taoïstes considèrent la flexibilité comme une qualité première. Pour moi, elle est fondamentale : les gens rigides n'arrivent pas à tenir lorsqu'ils traversent une tempête. À l'inverse, lorsqu’on est souple, l’esprit s’adapte et on arrive à trouver du positif dans tout.

C’est ce qu’il faut chercher ?
Voir dans chaque chose ce qu’elle peut avoir de positif est une belle philosophie de vie. Un optimiste va toujours se dire qu’à travers une épreuve, une difficulté, une contrariété, il y a peut-être quelque chose à comprendre qui sera un bien pour la suite.

Est-on naturellement poussé vers la joie ?
Spinoza explique qu'elle est le passage d’une moindre à une plus grande perfection, dans le sens de progression. Chaque fois que l’on grandit, dans le domaine du corps, du cœur ou de l’esprit, on est dans la joie. En ce sens, c'est naturel de rechercher la joie, car on a tous envie de progresser. D'ailleurs, dire que chaque fois que l’on se sent exister plus ou mieux on est dans la joie me semble être une très belle définition de celle-ci, et j’y adhère pleinement.

Si on prend la définition de Spinoza, quels seraient les freins à la joie ?
Pour Spinoza, la raison doit nous aider à orienter le désir vers les choses qui sont véritablement bonnes pour nous, et non vers des personnes ou des objets qui nous diminuent. Donc un obstacle important à la joie, c'est la mauvaise orientation de notre désir. Des idées, des croyances ou des pensées erronées nous entraînent vers des choses ou des personnes qui nous diminuent, ce qui nous rend triste. Il faut réussir à réorienter notre désir vers des personnes et des choses qui nous font grandir pour être dans une joie active, qui dure.

Que pensez-vous de l'engouement actuel pour le développement personnel ?
J'y suis favorable, à condition d'éviter deux écueils : le narcissisme et la facilité. Mais si on est sincèrement impliqué, ce peut être très enrichissant. Le travail sur soi va de pair avec le travail dans la relation à l’autre, et plus on est soi-même, plus on est capable d’aimer de manière juste. Cela demande des efforts et de la persévérance. Globalement, je pense que c'est un progrès pour l’être humain d’être capable d’utiliser des techniques, des exercices, des thérapies qui aident à s'améliorer, à se sentir mieux.

Votre pratique privilégiée, c'est la méditation...
Ça fait trente-cinq ans que je médite tous les jours. C’est une habitude que j’ai prise lors un voyage en Inde, quand j’avais 20 ans, et qui ne m'a jamais quitté. La méditation m'aide à être dans une vigilance permanente de l'esprit, de manière à ne pas laisser se développer des émotions qui n’ont pas lieu d’être, comme la peur ou la colère.

Pourquoi est-ce important de ne pas se laisser emporter par ses émotions ?
En soi, aucune émotion n’est positive ou négative : une peur peut vous sauver la vie ou vous inhiber. Une joie peut être fausse ou vraie. Une tristesse peut vous amener à un état dépressif ou être très juste à traverser. Une colère peut être due à une injustice ou vous mettre dans des situations impossibles. Un jour, alors que j’étais en tort, je me suis énervé contre des gendarmes qui me verbalisaient et… j’ai fini au poste ! Mettre de la distance entre soi et ses émotions permet d’éviter les situations délicates, et nous fait gagner en liberté. C’est le libre-arbitre.

Donc le libre-arbitre, c’est être capable de savoir ce que l’on fait de ses émotions ?
Oui, c’est la possibilité de pouvoir agir sur sa vie. C’est la liberté intérieure. Je ne peux pas choisir les événements extérieurs, mais je peux choisir la manière dont je réagis face à eux. Ne plus être esclave de ses passions, cela rend libre.

Qu'est-ce que le "carpe diem" ?
C'est vivre dans l’instant présent. C’est une des conditions de la sérénité : on ne se soucie ni du passé ni du futur, on est dans l’accueil du présent. Être dans le moment présent est l’une des conditions de l’émergence de la joie. Si vous n’êtes pas attentif et présent à ce que vous faites, aucune joie ne peut venir. Mais ce n’est pas automatique : la joie ne se décrète pas.

Le bonheur non plus...
Certes, mais le bonheur se construit, notamment par un équilibre de vie. Le bonheur est un état d’être, la joie est une émotion, il faut cultiver les attitudes qui favorisent son émergence.

Est-ce indécent d’être heureux par les temps qui courent ?
À quoi ça sert d’être malheureux dans un monde malheureux ? Ce n’est pas parce qu’il y a des gens qui souffrent que notre malheur va les aider, au contraire ! Camus disait que c’est un devoir d’être heureux pour aider les autres. C’est évident que si l’on veut faire reculer le malheur, il faut commencer par le faire reculer en soi. Il y a un cercle vertueux entre le bonheur et l’altruiste : être heureux rend généreux.

Quelle est la différence entre la philosophie et le développement personnel ?
La philosophie n’est pas nécessairement pratique. Elle permet de progresser dans la connaissance du vrai et de résister à toutes les formes d’endoctrinement. Le développement personnel est là pour vous aider à aller mieux et à augmenter votre bien-être. La philosophie ne rend pas forcément heureux, mais on peut décider de l'orienter vers la recherche du bonheur. C’est ce que j’ai fait.

Pour être en paix avec soi-même, faut-il forcément faire la paix avec son passé ?
Je fais partie des personnes qui ont eu des blessures du passé. Jeune adulte, j'ai senti le besoin de les guérir, pour pouvoir avancer. J’ai eu besoin de pardonner, notamment à travers des méditations du pardon de type bouddhistes, en passant par des visualisations. On peut faire beaucoup de choses au niveau psychologique pour guérir les blessures du passé, mais le pardon est un travail plus profond, qui demande un travail plus spirituel, au sens de travail de l’esprit.

Quelle est la place de la gratitude dans votre vie ?
J’ai commencé par être dans la tristesse et la colère par rapport à la vie, car il y a des parts chaotiques dans mon enfance, mais aujourd'hui, je suis de plus en plus dans la gratitude. Je réalise désormais que les épreuves et les difficultés de ma jeunesse ont été utiles pour devenir qui je suis aujourd'hui. Plus qu’une question de pardon, je pense que la gratitude est une question de paix avec soi-même. Étant réconcilié avec moi-même et avec les autres, je dis merci toute la journée !

Vous n'utilisez pas le mot "chance" pour parler de votre vie. Pourquoi ?
Parce que je la construis au quotidien. Par exemple, au niveau de la santé, je vais bien, mais c'est aussi car je fais attention à ce que je mange. J'ai quasiment arrêté la viande, je mange bio autant que possible, j'évite les sucres... Cela joue sur ma santé, tout comme le fait que je vive dans la nature, que je fasse du sport. Je ne suis à l’abri de rien, bien entendu, mais je suis dans la prévention.

Vous avez philosophé avec les enfants. Que pensez-vous du dicton "la vérité sort de la bouche des enfants" ?
Il est incroyablement vrai ! Les enfants ont une intuition des choses extrêmement forte. Avec les ateliers philo que j'ai animés pendant un an, je voulais aider les enfants à développer, travailler et argumenter leur sagesse naturelle pour dépasser l'intuition en utilisant la raison. Ça a été une expérience si belle que pour la continuer et permettre à plus d'enfants de s'initier à la philosophie, j'ai fondé la Fondation SEVE, pour développer des ateliers de méditation et de philosophie dans toute la France.

L'école est-elle l'endroit idéal pour philosopher ?
Absolument ! À l'école, les enfants viennent d'horizons différents, les échanges sont plus riches. Il y a des chocs culturels dans les ateliers philo ! Lorsque vous demandez ce qu'est le bonheur, les réponses sont très différentes selon les origines sociales. Mais écouter ce que dit le voisin fait progresser, ça rend plus ouvert et plus tolérant.

Que vous ont appris ces enfants ?
Il faut que l'on retrouve un cœur d'enfant, car leur spontanéité, leur sagesse et leur simplicité sont merveilleuses. De plus, ils sont capables de formuler extrêmement bien des idées très profondes. Par exemple, un jour, j'ai demandé à un enfant âgé de 7 ans ce qu'était le bonheur pour lui. Il m'a répondu  : "C'est juste être et exister au monde." Je n'aurais pas su mieux dire après presque quarante ans de réflexion philosophique ! En fait, les philosophes ne font que redécouvrir des vérités profondes que les enfants connaissent déjà.

Les derniers livres de Frédéric Lenoir :
La puissance de la joie, Fayard, 2015.
Du Bonheur, un voyage philosophique, Le livre de poche, 2015.
Philosopher et méditer avec les enfants, Albin Michel, 2016.
Lettre ouverte aux animaux (et à ceux qui les aiment), Fayard, 2017.

La fondation SEVE : fondationseve.org

 

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