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La source des femmes

Mis à jour le 25 février 2021
Réalisateur de Va, vis et deviens ou encore Le concert, Radu Mihaileanu revient en force avec La source des femmes, un film inspiré d'un fait divers réel : dans un village en Afrique, des femmes font la grève de l'amour pour que les hommes aillent eux-mêmes chercher l'eau à la source. Rencontre avec un réalisateur engagé, qui nous offre un film au message puissant, qui va droit au cœur. Sortie en salle le 2 novembre 2011.

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La source des femmes

Comment s'est fait le choix des acteurs et actrices du film ?
Pour 3 rôles, c'était évident, c'était des actrices que je connaissais bien avant, que je désirais même avant d'avoir commencé à écrire. Je connaissais Leïla depuis longtemps, qui m'avait ébloui dans Mauvaise foi alors qu'elle avait un petit rôle. Je me suis dit qu'elle avait une graine de star, une vraie présence, puis j'ai eu la chance de la rencontrer. Ensuite Hafsia que je connaissais aussi depuis La graine et le mulet. Je les voulais vraiment dans le film. Pour les autres, ça a mis plus de temps, mais ça a été des belles rencontres, avec Sabrina, Biyouna, Salem et tous les autres acteurs et actrices.

Pourquoi avez-vous tourné en langue arabe marocaine ?
Pour respecter la beauté et la profondeur de l'identité de la culture du sujet que je traitais, ça parle de cette musique intérieure. Depuis le début, je savais que s'il fallait faire le film en français, je ne le ferais pas. Ensuite, il fallait choisir une des langues arabes, puisque chaque pays à une langue différente avec des nuances différentes et comme je tournais au Maroc, que l'inspiration en plus m'était venue là-bas, j'ai tourné dans le dialecte marocain.

Les femmes chantent beaucoup dans le film...est-ce que l'expression des femmes passe par la chanson ? Pourquoi ce choix ?
D'une part, c'est très culturelle, la tradition arabe et berbère passe beaucoup par l'oral et par le chant. C'est une culture à double ressort : d'une part, on ne dit jamais les choses franchement même quand on critique, on trouve des métaphores détournées pour ne jamais faire perdre la face à son interlocuteur. D'un autre coté, les femmes particulièrement, s'expriment beaucoup par le chant soit lors des fêtes, soit même quand elles sont entre elles, quand elles travaillent ensemble ou groupées lors d'activités. Je voulais respecter ça et montrer même le fait qu'elles improvisent beaucoup, qu'elles peuvent parfois aussi slamer ou rapper sur des faits de la vie quotidienne tournés en auto-dérision, soit la sienne, soit celle d'autres femmes ou hommes. Ce sont des chroniqueuses drôles. J'y ai découvert beaucoup d'humour et de métaphores, c'était une grande et belle surprise.

Comment voyez-vous la montée de l'islamisme dans le monde et quel est l'impact sur la condition des femmes ?
Ce que je constate, c'est qu'il y a des mouvements, ça bouge. Des libérations sous des régimes dictatoriaux - pour commencer par le positif - des gens qui s'expriment qui ne pouvaient pas s'exprimer avant, surtout des femmes. Malgré les barrières encore assez solides, les femmes ont accès à l'éducation, sont de plus en plus diplômés et expriment le souhait de voir leurs droits de plus en plus présents. Elles font partie intégrante de la culture et de l'Islam. Dans le Coran, très peu de gens le disent, mais il y a au moins 50 sourates sur le droit de la femme. Donc ce sont bien des hommes qui interprètent ça différemment, mais ce n'est pas propre à l'Islam, dans le christianisme, le judaïsme aussi l'homme interprète pour garder le pouvoir sur la femme.

Maintenant, on voit bien en Lybie, en Tunisie, le coté inquiétant, à la sortie d'une dictature, comme dans les années 90 dans les pays de l'Est, ces pays n'ont pas d'habitude de démocratie, donc c'est chaotique, on ne sait plus pour qui voter, dans des pays comme la Tunisie où encore une fois, hélas, il y a encore beaucoup d'analphabètes dont certains essayent de manipuler. C'est un début qui peut être inquiétant, mais - parce que je connais un peu ces pays là et que je sais qu'il y a énormément de beauté, de lumière et d'intelligence - je reste convaincu que le changement passera par les femmes. C'est le pari que j'avais pris en 2006 déjà quand j'ai commencé à écrire ce film et qui va, même si y a moins de danger immédiat, qui va au delà des pays arabes. Le monde entier est secoué par pas mal de crises et je crois que les femmes peuvent apporter beaucoup de solutions. Comme la présidente du Libéria qui a eu le Prix Nobel de la paix cette année en compagnie de 2 autres, dont une qui avait fait la grève de l'amour pour obtenir le droit de vote et grâce à cela, elles ont pu élire la première présidente de l'histoire de l'Afrique.


Quelle est pour vous la métaphore de l'eau et de la source dans le film ? Que représente-t-elle pour vous ?
La source pour moi, c'est l'amour. L'amour dans toute sa splendeur : le respect de l'autre, l'attention sur les autres, la tolérance, la liberté d'expression, l'affirmation dans sa spécificité. L'amour, c'est large.
Dans le film, les femmes se battent pour cela. Mais pas que pour l'eau, c'est le symbole de l'amour, elles se battent pour que l'amour revienne au village en réalité. Et peut-être que le village, c'est cette planète terre que l'on peut vraiment soigner. Quand on prend du recul à l'échelle de la planète, on ne manque pas de richesse, on n’est pas pauvre, mais on est de plus en plus est narcissique et individualiste, on est en train de couper le lien avec l'autre.
Les femmes demandent du secours : vous ne pouvez pas ne pas voir l'autre quand il tombe,  quand il perd son enfant. A un moment Leïla crie dans le film et son mari lui demande ce qu'elle veut de plus que de l'eau, elle répond : « que tu vois que j'existe ». Et c'est le crie qu’on entend partout dans le monde : on est en train d'oublier que l'autre existe.

Dans le film Leïla dit :"La paix ne nous fait pas peur, à nous". Dans cette période de turbulence, avons-nous peur de la paix ? Les hommes ont-ils peur ?
Depuis le début des temps, hélas, les hommes sont guerriers et chasseurs, ils ont besoin de défi. L'homme est mal à l'aise dans la paix, il ne sait pas gérer, il s'ennuie. Alors que, quand l'homme partait, la femme restait pour gérer l'équilibre de la communauté, de la famille. Elle est très habituée à cela. Leïla dit aussi « on veut apprendre la paix aux hommes ».
Aujourd'hui, les raisons de guerre, c'est la recherche de pouvoir, puisque les richesses sont présentes partout, nous pourrions mieux vivre partout. Mais même dans les négociations pour la paix, l'homme n'arrive pas, il utilise le bras de fer, on le voit bien. Alors il faut peut-être plus laisser les manettes aux femmes car elles peuvent amener d'autres arguments et nous apprendre la paix et la sérénité.

Pour les actrices, y-avait-il un engagement plus fort dans le fait de tourner ce film qu'un autre ?
Pour la plupart, elles sont nées en France et retournaient au bled régulièrement étant enfant. D'autres vivent ou sont nées là-bas. Toutes et surtout Leila, sont des personnes très engagées, donc ce n'était pas qu'un film, même si un film est toujours un spectacle avec beaucoup d'humour. Il y avait autre chose pour elles.

Avez-vous conscience de l'effet que votre film pourrait produire dans le monde et du soutien qu'il peut être pour les femmes ?
J'ai bien conscience que j'ai fait ce film aussi pour les soutenir, pour qu'elles n'hésitent pas à se faire entendre. Le message est le suivant : exprimez-vous dans votre culture, votre identité, votre beauté, ne copiez pas forcement l'occident. Mais surtout ne lâchez pas le morceau, c'est vous qui allez apporter la lumière, telles que vous êtes.

Enfin, qu'auriez-vous envie de dire aux femmes de FemininBio ?
Ce que je raconte c'est ce que les femmes m'ont appris lors de mes voyages donc je n'ai pas de conseil à donner, mais ce que je souhaiterais, ce qui me réjouirait, c'est qu'elles s'expriment. Ce que je voulais montrer dans le film, c’est le courage et l’intelligence des femmes : il ne faut plus qu'elles aient peur d'exister dans leur culture et leur religion. Ce serait dommage de laisser s'exprimer les extrémistes, ce serait même terrible.

Sortie le 2 novembre. Avec Leïla Bekhti, Hafsia Herzi, Biyouna.

Cet été, Radu Mihaileanu a reçu la Légion d'Honneur.

Matyas Le Brun

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