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L'empathie à l'école, interview de Catherine Gueguen

enfant à l'école
"Encourager l’enfant, c’est lui transmettre l’idée que ses capacités sont malléables"
© Pan Xiaozhen/Unsplash
Anne Ghesquière
Anne Ghesquière
Mis à jour le 25 février 2021
Dans son dernier livre, la pédiatre renommée, spécialisée dans le soutien à la parentalité, prône la bienveillance et donne les clés pour une école publique tournée vers les émotions de l’enfant.

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Cet article a été publié dans le magazine Fémininbio #18 Août-Septembre 2018

Femininbio : Vous partez de ce constat un peu alarmant : beaucoup d’enfants sont en échec scolaire ou ne veulent plus aller à l’école...

Catherine Gueguen : Beaucoup d’études internationales le mentionnent : notre école française rencontre d’importantes difficultés. Mais l’Éducation nationale, actuellement, change. Partout en France j’ai vu des initiatives extraordinaires au niveau des enseignants et également des inspecteurs. On sent un mouvement positif de grande ampleur dans le bon sens. Pour ma part je milite pour deux axes de formation initiale et continue des enseignants : le développement du cerveau de l’enfant et le développement de leurs propres compétences sociales et émotionnelles.

Quel est l’impact de la qualité de la relation enseignants-élèves ?

Nous savons tous intuitivement ce dont nous avons besoin dans une relation : être écoutés, compris, soutenus et encouragés. Les neurosciences affectives et sociales montrent que lorsqu’on adopte cette attitude, le cerveau se développe de façon globale : aussi bien le cerveau intellectuel, qui nous permet d’apprendre, de comprendre, de réfléchir, que le cerveau affectif, qui nous permet d’être conscients de nos émotions, de les exprimer et d’avoir des relations satisfaisantes avec les autres. L’empathie est primordiale, car elle contribue à ce développement global.
À l’inverse, on sait désormais que les humiliations verbales et physiques abîment des parties très importantes du cerveau. Or, dans de nombreux pays, les enfants sont encore battus, torturés à l’école. En France, il nous reste la maltraitance émotionnelle qui prend la forme simple du "tu n’es pas gentil", "tu es paresseux", "tu écris mal", etc. Autant d’injonctions qui dévalorisent les enfants et dégradent leur cerveau.

Est-ce la répétition qui cause ces dommages ?

Oui, lorsqu’elles sont importantes et répétées, ces maltraitances provoquent du stress et le corps de l’enfant fabrique alors du cortisol. Cette hormone, à un taux trop important, a des effets délétères sur les neurones et sur des parties très importantes du cerveau.
Les études à ce sujet sont très précises : le stress provoque une baisse de la neurogenèse (production de nouveaux neurones), atteint la substance grise, la substance blanche et la myéline (manchon graisseux permettant la conduction électrique entre chaque neurone) et peut détruire les neurones existants. Ces études ont été faites partout dans le monde, la prise de conscience est globale !

Pour les adultes, c’est également un chemin personnel de l’ordre de la connaissance de soi ?

Le travail sur l’empathie et les émotions de l’enfant est un axe d'étude très récent, il date seulement de la fin du XXe siècle !
Nous naissons tous avec une empathie affective. Cette empathie que nous recevons des autres est rapidement empêchée par les humiliations physiques et/ou verbales que nous subissons tous, et ce, dès la première année de vie (1).
Parmi les stages qui développent nos compétences émotionnelles et sociales, la meilleure approche, selon moi, est la Communication non violente (CNV), une communication empathique, consciente et bienveillante. Aujourd’hui utilisée dans plus de soixante pays du monde, la CNV nous vient de Carl Rogers, dont Marshall Rosenberg était l’élève. À l’heure actuelle, beaucoup de formations proposées sont issues de ses travaux. Ces stages fonctionnent, car on y reçoit de l’empathie qui nous permet d’être empathiques à notre tour. C’est ce fait extraordinaire qui montre l’interdépendance des êtres humains et, en même temps, la tragédie dans laquelle nous nous trouvons, car si nous n'en recevons pas, nous ne sommes pas capables d’en donner.

L’empathie peut-elle être entendue au sens de l'"amour" ?

On ne peut aimer sans empathie. Si on ne comprend pas les émotions de l’autre, si on n’a pas envie de prendre soin de l’autre, aimer sera difficile. J’ai rencontré un certain nombre de patients qui me disaient ne pas savoir aimer leurs enfants parce qu’ils n’avaient pas été aimés.

Comment se passent ces stages d’empathie que vous conseillez aux enseignants ?

Depuis trois ans, l’association Déclic – CNV éducation forme des parents et des professionnels de l’enfance. Il faut du temps pour apprendre à être vraiment empathique. Ces stages sont des cursus longs, de deux ou trois ans, sinon la CNV n’est pas "digérée" et cela devient une technique qui n’a pas de sens. Il s’agit d’abord d’un travail d’auto-empathie permettant de sentir, exprimer et comprendre ses propres émotions et la richesse de sa vie intérieure. Une fois que l’on parvient à ressentir de l’empathie pour soi-même, être empathique avec les autres est plus facile.
Quand les enseignants développent leurs propres compétences sociales et émotionnelles, eux-mêmes vont beaucoup mieux. Ils s’épanouissent et ne sont plus sujets au burn-out, qui concerne aujourd’hui 30 % de la profession... c’est énorme !

Vous parlez des compétences sociales et émotionnelles. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Voici la définition internationale sur laquelle se basent les chercheurs : les compétences émotionnelles concernent la connaissance des émotions, savoir les exprimer sans culpabilité, savoir les réguler. Les compétences sociales, elles, relèvent de la capacité à avoir des relations satisfaisantes, à savoir écouter l’autre, comprendre l’autre, coopérer, résoudre les conflits.
Ces compétences sont liées à la réussite scolaire. Elles sont l’application des découvertes en neurosciences affectives et sociales, sciences qui étudient les mécanismes cérébraux des relations et des émotions. Plus l’enfant les développe, plus il va s’améliorer, améliorer ses relations et avoir un développement intellectuel optimal(2).

Quelle différence faites-vous entre encourager et complimenter un enfant ?

Encourager l’enfant, c’est lui transmettre l’idée que ses capacités sont malléables.
Nos compétences ne sont pas innées et immuables, on peut toujours progresser, aussi bien dans nos capacités cognitives que dans notre empathie.
Lui dire "tu es intelligent", c’est l’enfermer dans un état particulier, cela peut le rendre arrogant ou anxieux à l'idée de se montrer à la hauteur.
Le compliment rend l’enfant dépendant des jugements des autres. Or, c’est sa propre motivation qu’il faut cultiver, afin qu’il apprenne pour son plaisir, parce que cela l’intéresse et qu’il a compris que travailler le fait progresser ; c'est ainsi qu'il sera fier de lui.

"Heureux d'apprendre à l'école", de Catherine Gueguen, Les Arènes. 

(1) source : rapport de l'Unicef "Cachée sous nos yeux", 2014.

(2) Ceci est prouvé par une étude de 2011 (Durlak J. A. et al., "The Impact of Enhancing Student's Social and Emotional Learning: A Meta-Analysis of School-based Universal Interventions", Child Development, 82, 1, 405-432) réalisée sur 270 000 élèves de la maternelle au secondaire : le développement de ces compétences induit une baisse des problèmes comportementaux et une amélioration des résultats scolaires.

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