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Interview

"J'étais affectée par le tabou des règles de manière très intime": rencontre avec Elise Thiébaut, auteure de "Ceci est mon sang"

Ed. La Découverte
femme sourire Féminin sans tabou
Marielle Davoudian
Mis à jour le 25 février 2021
Le moment serait-il venu de mettre fin au tabou qui entoure les menstruations ? Rencontre avec Elise Thiébaut, auteure de Ceci est mon sang (éd. La Découverte).

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L'année 2017 serait-elle en France l'année qui marquera la fin de la honte qui entoure les règles ? On assiste à une prise de parole libératrice, avec la publication de plusieurs ouvrages qui se sont succédés sur le sujet. En tête de file, le très drôle et complexé Ceci est mon sang, d'Elise Thiébaut, publié aux éditions La Découverte en janvier 2017, qui avait été suivi par la publication de Sang Tabou, de Camille Emmanuelle en mars, puis tout récemment, Jack Parker publiait Le grand mystère des règles en mai. Le 28 mai se tenait aussi à Paris le Menstrual Hygiene Day, événement international autour des règles fondé en 2013 et dont le fil conducteur cette année était le thème de l'éducation. Comment parler des règles aujourd'hui, comment éduquer les jeunes femmes et changer le regard de la société sur cet événement naturel ? Dès la préface de Ceci est mon sang, Petite histoire des règles, de celles qui les ont et de ceux qui les font, Elise Thiébaut pose le cadre avec ces mots : « Comme des milliards de femmes depuis que le monde est monde, j'ai eu mes règles chaque mois pendant près de quarante ans. » C'est donc une femme d'expérience qui s'adressera à nous. Rencontre.

Pouvez-vous nous présenter rapidement qui vous êtes, votre parcours, et ce qui vous a menée à l'écriture de "Ceci est mon sang" ?
Depuis que je sais lire, je veux écrire. J'ai écrit en tant que journaliste, des livres sous différents formats... mais je ne trouvais jamais la forme que je cherchais, pour produire une littérature permettant de partager des connaissances, et de le faire par le prisme de mon expérience. J'avais envie d'une écriture dans la lignée des écrits de Montaigne ou de Voltaire, dont les contes philosophiques sont pour moi un modèle absolu. Un texte très enlevé, qui apporte un nouveau regard sur le monde à travers une expérience. Cette forme n'est pas très populaire en France aujourd'hui, et j'ai beaucoup écrit sans publier. Je faisais beaucoup de recherches et j'écrivais autour des sujets qui me préoccupaient le plus, comme la condition des femmes et l'origine de la domination masculine. Je me suis penchée sur l'approche féministe du corps des femmes dans la société, en travaillant notamment pour l'abolition des mutilations sexuelles et en écrivant un livre sur l'excision destiné aux adolescents. Puis, tout ce travail de recherche ainsi qu'un concours de circonstances ont permis de donner vie à Ceci est mon sang. Je suis arrivée au moment de la ménopause, et je me suis demandée si j'avais écrit ce que je voulais réellement transmettre. Je me suis mise à publier sur mon blog Mediapart au sujet des règles et de l'endométriose, maladie dont je souffre et qui m'a été diagnostiquée très tardivement. C'est via ce blog que j'ai été contactée par les éditions La Découverte, et que le projet de livre a été évoqué. L'écriture a duré très peu de temps, entre 4 et 5 mois, grâce au long travail de maturation et de recherches que j'avais effectué par le passé.

Comment, quand et pourquoi avez-vous eu la prise de conscience liée au tabou des règles, et l'envie d'en parler ?
Ma prise de conscience a eu lieu à l'âge de 43 ans, quand on m'a diagnostiqué mon endométriose. A ce moment-là, j'ai commencé à réfléchir différemment à mon corps. Puis, durant les années qui ont précédé ma ménopause, j'ai pensé au sujet des menstruations et je me suis dit : « quelque chose a duré 40 ans dans ma vie, comment y réfléchir ? » Je me suis rendu compte que je me sentais libérée au sujet des règles, au moment où j'allais en être délivrée. Sans m'en rendre compte, jusque là j'avais été sous pression, et j'étais affectée par le tabou des règles de manière très intime. Le fait d'entrer en ménopause m'a aidée à acquérir une libération de la parole et une légitimité. J'ai constaté le même phénomène avec le fait de devenir mère et d'oser me dire féministe. Je ne me sentais pas légitime à employer ce mot avant d'avoir un enfant, comme si j'avais trop « la tête dans le guidon », puis quelque chose s'est libéré, à l'échelle d'une vie. J'ai alors eu l'envie de parler des menstruations, et je trouvais intéressant de traiter ce sujet à l'échelle d'une vie, d'une tranche d'histoire et son évolution. Cela nous apprend quelque chose sur la période que nous venons de traverser, et nous apporte un éclairage et un contexte enrichissant autour des règles.

L'auteur Elise Thiébaut.

Vous parlez de la campagne Sang Tabou porté par le mouvement Osez le féminisme, ou du site de Jack Parker "Passion menstrues". Selon vous, d'où vient cette libération de la parole autour des règles ? Pourquoi maintenant ?
Dans l'histoire de la pensée, les choses importantes arrivent toujours en même temps ! Aujourd'hui, à l'échelle de l'humanité, il se passe quelque chose de significatif, et le fait de voir les règles autrement en est le signe. Cela arrive assez logiquement, après un siècle marqué par deux découvertes majeures: la contraception orale il y a moins de 50 ans, et les hormones dont nous connaissons l'existence depuis seulement un siècle. Il y a aussi un élément important, qui est le changement des règles aujourd'hui. C'est la première fois dans l'histoire de l'humanité que les femmes ont leurs règles aussi souvent et aussi longtemps, les premières menstruations surviennent de plus en plus tôt, et les règles elles-mêmes changent, prenant par exemple la forme de fausses règles avec la contraception orale.

Par ailleurs, des questions essentielles sont en train de se poser autour des règles, et rejoignent la question de la reproduction de notre espèce. Nous sommes 7 milliards sur terre, et nous constatons que nous avons des problèmes de ressources. Des interrogations commencent alors à se poser: « quand et comment avoir des enfants, quel contrôle avons-nous, comment allons-nous survivre ? » Tous ces éléments font que les règles sont un sujet central aujourd'hui, et le moment est venu d'en parler.

Dans votre livre, vous parlez de votre famille de manière très comique et attendrissante. Quelle a été l'influence de cette famille dans votre construction en tant que femme ? Et en tant que mère aujourd'hui d'une jeune femme dans sa vingtaine: trouvez-vous que sa vie de femme soit différente de celle que vous aviez à son âge ?
J'ai eu la chance de grandir au sein d'une famille qui m'a permis de découvrir plusieurs figures féminines fortes, et de sortir du schéma « un papa, une maman », puisque mes parents ont fait le choix de divorcer. Par ailleurs, mes parents étaient engagés politiquement, ce qui a été très formateur pour moi, et m'a appris à réfléchir sur le monde, à me questionner. J'ai le souvenir de discussions très animées à table avec mes parents autour de problèmes de société, comme le féminisme. Pourtant, si j'ai eu la chance de grandir dans une immense liberté, je constate que pour ma fille aujourd'hui, il est un peu plus facile de parler de ces sujets-là. Certains choses paraissent évidentes, comme le sexisme. Il me semble aussi que ma fille avance sans peur dans la vie et possède un sens de sa propre valeur qui était loin d'être évident dans ma génération. Elle se sent plus légitime en tant que femme que je me sentais lorsque j'avais son âge. Pour autant, s'il lui est moins difficile de batailler, elle est toujours contrainte de batailler, car le sexisme est toujours là, et la société persiste à vouloir contrôler les femmes et les décisions qu'elles prennent liées à leur corps et leur intimité.

Simone de Beauvoir, les Pussy Riot, les Femen... Vous mentionnez dans votre livre bien des figures féministes. Quelle est votre vision du féminisme ?
Je me revendique comme féministe, mais je ne me qualifierais pas de militante, car je ne souhaite pas m'enfermer dans un groupement fermé. Mais je suis persuadée que l'inégalité homme-femme est la matrice de beaucoup d'autres inégalités que l'on trouve dans le monde, et que tendre vers l'égalité des sexes est indispensable. Je ne voudrais pas réduire mon livre à un message féministe, mais plutôt le considérer comme un travail d'émancipation autour de mon expérience, et que ce livre amène les gens à se considérer eux-même dans leur intimité avec bienveillance, qu'ils regardent ce phénomène mal-aimé des règles avec attendrissement et attention. Je crois qu'en faisant attention à soi, on accède à une liberté d'être et de pensée. Et si l'on se pense inférieure et impure à cause des règles, on se prive de la puissance d'agir à laquelle on a droit.

D'après vos recherches, quelles sont les meilleures perspectives d'avenir pour améliorer la vie des femmes qui ont leurs règles ?
D'un point de vue médical, il faudrait faire avancer la recherche, notamment sur l'endométriose. J'ai été diagnostiquée très tardivement, et je connais l'immense violence médicale à laquelle sont confrontées les femmes, et combien cela peut les amener à être dépossédées de leur corps. Il faudrait aussi s'unir afin d'être mieux entendus au cœur d'enjeux de santé publique, comme faire pression sur les fabricants de protections périodiques, afin qu'il n'y ait plus aucun résidu toxique.

Enfin, il y a une réelle nécessité d'éduquer davantage les femmes, et je prépare actuellement un ouvrage destiné aux enfants au sujet des règles. L'éducation est primordiale, et je souhaiterais rebondir sur le Menstrual Hygiene Day qui a eu lieu récemment et au cours duquel j'ai pris la parole. J'apprécie cette initiative internationale de parler des règles, mais je n'apprécie guère le terme d' « hygiène », qui implique la notion de saleté liée aux règles. Comme je l'expliquais dans une tribune pour le Huffington Post, je pense qu'il serait plus judicieux de baptiser cet événement « Journée de la santé et de l'égalité menstruelle ». Il y a une différence entre l'éducation et le « girl washing » que l'on peut trouver dans le discours des marques, et qui relève plus du marketing que du bien-être réel des femmes. Le « girl washing » est comme le « green washing » mais pour les femmes : il peut déplacer les problématiques réelles et créer des situations piégeantes. Il faut avant tout garder à l'esprit la quête de l'égalité en ce qui concerne les règles. Comme j'aime le dire, « un homme sur deux a ses règles ; un homme sur deux est une femme ! »

Ceci est mon sang
Elise Thiébaut, éditions La Découverte. 

 

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