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Permaculture. Rencontre avec Perrine Hervé-Gruyer: "créer votre propre nourriture et vous avez une énergie qui monte en vous"

Thomas Graindorge
Anne Ghesquière
Anne Ghesquière
Mis à jour le 25 février 2021
Perrine Hervé-Gruyer est une alchimiste-fermière bio des temps modernes. Ex-basketteuse de haut niveau, juriste internationale en Asie puis thérapeute, elle a un parcours des plus atypiques ! Rencontre avec une femme qui aime la terre de tout son être, au sein de la Ferme du Bec Hellouin.

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Voilà un peu plus de dix ans que Perrine et son mari se sont lancés dans le projet d’une ferme bio devenue depuis la référence de la permaculture en France. Perrine, véritable alchimiste des lieux, m’offre de son temps pour répondre aux lectrices de FemininBio. Elle m’accueille dans son jardin secret, nous nous installons dehors et nous tutoyons tout naturellement. Il fait froid mais beau, la nature alentour est sublime. Entretien captivant.

Perrine, tu as ce désir de nourrir ta famille avec des produits sains et vivants cultivés de tes mains, dans la bio-abondance. Peux-tu nous en dire plus ?
Ma fenêtre d’entrée c’était l’alimentation pour moi et pour mes enfants. Quand je suis revenue en France il était clair pour moi que j’allais manger bio. C’était encore un peu naissant à l’époque, en 2003. Vu que je ne trouvais pas de légumes en bio, je me suis dit que j’allais les produire moi-même.

Qu’est-ce que la permaculture ?
Il s’agit de remettre la main humaine au cœur du processus agricole, sans pétrole. En permaculture on revient à l’écosystémique, aux rondeurs, à la féminité. La permaculture cherche à concevoir des installations humaines harmonieuses, durables, résilientes, économes en travail comme en énergie, à l’instar des écosystèmes naturels. Le principe essentiel est de positionner au mieux chaque élément de manière à ce qu’il puisse interagir de manière bénéfique et positive avec les autres, comme dans la nature où tout est relié.
Dans notre cas, il s’agit d’une ferme, donc c’est plus facile à comprendre, mais il ne faut surtout pas penser que c’est une technique agricole !

En quoi est-ce une vision holistique, organique du monde ?
Le design permaculturel est la colonne vertébrale de la création d'un écosystème. C’est la manière dont on organise notre écosystème pour qu'il soit performant écologiquement, pour qu'il nous aide à produire. Cependant ce n'est pas que cela. Il s’agit de voir quel est l’impact des principes copiés sur la nature afin de pouvoir être productif. C’est cette cohérence qui est importante. Le côté holistique est bien évidemment là, et il faut qu'il soit présent systématiquement.

Vous écrivez dans votre livre [Permaculture – Guérir la terre, nourrir les hommes, écrit avec son mari] "Small is beautiful" (Ce qui est petit est beau). La permaculture est-elle la microagriculture ?

La permaculture n’est pas la micro-agriculture. Il est toutefois vrai que dans le contexte permaculturel, plus on fait petit, plus on peut observer, être vigilants, comprendre les mécanismes qui se mettent en place dans l’écosystème. Donc, au final, on est performants.

Justement, tu nous parles de performance. Vous avez lancé cette fameuse recherche des "1 000 m2". Où en êtes-vous au niveau des résultats ?
C’est une étude commencée avec l’INRA [Institut national de la recherche agronomique] fin 2011. Le postulat de départ c'était de dire que sur 1 000m² on peut faire vivre une personne. On a été assez vite récompensés : première année 32 000 € de chiffre d'affaires et 53 000 € lissés sur les trois ans, ce qui prouve qu'on peut générer un revenu décent pour une personne ! On est bien au-delà du SMIC avec un revenu moyen de 2 000 €. Un tel chiffre d'affaires permet tout à fait d'embaucher une main-d'œuvre temporaire pour donner un petit coup de main quand il faut.

Qu’en est-il de la bio-abondance, n’y aurait-il pas une tentation d’en abuser ?
La personne qui a bien intégré le concept de la permaculture comprend qu’elle a tout intérêt à soigner son sol. Si celui-ci est équilibré et soigné, cela va produire. Un mauvais soin, par contre, conduit à un mauvais sol donc à une culture soit absente, soit malade, soit carencée. La nature est résiliente mais elle est aussi un très bon miroir de nos pratiques et nous dit ce qui ne va pas. Par contre, elle nous récompense en abondance car une fois que l’écosystème se met en marche, les résultats nous dépassent.

Dans votre livre vous écrivez : "Au départ je portais des gants." Peux-tu nous parler de ta conversion, notamment en tant que femme ?
Quand on a commencé, mettre les mains dans la terre était pour moi impensable ! Aujourd’hui j’embrasse la terre et j’ai un comportement charnel, très primitif avec elle et avec mon environnement. Dans ma vie de femme, en tant que femme et en tant qu’être humain, cela a été initiatique, sans aucun doute !

As-tu la sensation d’être à ta juste place ?
Au départ on était appréhendés comme des Parisiens, même si on ne l'est pas. Un jour le voisin m’a vue déplacer avec ma fourche le marc de pomme - très dur quand il est pressé - pour l’emmener sur le compost. Il m’a regardé et m’a dit : "Mais c'est pas à une femme de faire ça !". Depuis il nous a perçus différemment et s’est dit qu’on travaillait vraiment. Donc nous étions toujours les étrangers mais une réelle relation de confiance s’était établie.
Sinon j'avais beaucoup de mal avec l'image véhiculée par les médias au début. J'ai eu du mal à accepter d’être sur le devant de la scène mais je pense que c'est assez féminin : on n'aime pas être promue égérie, pionnière ou emblème de quoi que ce soit, en tout cas si ce n’est pas voulu.
Au final je me suis rendu compte que c’était utile car s'il n'y a pas cette médiatisation, on ne parle pas de la permaculture et on reste juste entre nous.
Donc aujourd'hui j'assume complètement ce rôle et cette place parce que je pense que c'est effectivement un mal nécessaire.

Il y a un fantasme assez répandu de retour à la ferme. Quel est ton avis à ce sujet et que conseillerais-tu aux personnes, aux femmes notamment, qui ont envie de sauter le pas ?
Les conseils que je pourrais donner aux personnes qui veulent revenir à la terre, et notamment aux femmes, c'est d'être très honnête avec soi-même et de se tester d’entrée de jeu pour savoir si c'est fait pour soi ou pas. Il y a de nombreuses possibilités dans ce monde nouveau à créer, et tout le monde ne redeviendra pas paysan.

"Réappropriez-vous votre souveraineté alimentaire" est un message fort dans votre livre, peux-tu nous en dire plus ?
Quand vous créez votre propre nourriture vous avez une énergie qui monte en vous, vous êtes vous-même, ancré. Il y a donc cette puissance et cette souveraineté très fortes qui jaillissent juste en faisant pousser votre propre nourriture, ce qui semble incroyable !
L’alimentation est la porte d’entrée la plus simple, la plus visible et la plus tangible à l’heure actuelle mais cela va bien au-delà de ce champ : c’est faire ses cosmétiques, ses produits d’entretien, se dire que demain vous n’êtes pas dépendante de votre supermarché. Et cela donne une présence et une notion de la vie incroyables !

Et que mangez-vous au quotidien ?
La cohérence de l’exploitation fait que l’on a tout ce qui est nécessaire, c’est-à-dire qu’on a les légumes, les fruits, les plantes, un peu de blé jardiné, peu de céréales mais de qualité et différentes, des noix et des châtaignes. Moi, ma difficulté c’est de manger mes propres animaux même si cela serait cohérent ! Je ne planifie pas mes menus, je ne vais pas au supermarché, je sors et je me dis : "Qu’est-ce qu’il y a ?" et je fais ce que j’ai. Cela aussi, par rapport à la souveraineté alimentaire et à la non-dépendance vis-à-vis de la société de consommation, c’est très fort.

Que mangez-vous, à la ferme, en ce moment ?
Nous avons bien sûr de la mâche, des épinards, toutes les courges – méconnues et mal cuisinées en France alors qu’elles ont tout pour plaire –, les pommes de terre, les carottes, les panais, les topinambours mais aussi, en termes de vivant, toute la gamme de jeunes pousses asiatiques, grosso modo les choux chinois, toutes les noix également.

As-tu l’impression, à ton niveau, d’être utile à toi-même et au monde ?
Oui, clairement, je fais ma part. Elle pourrait être encore plus grande, des choses pourraient être mieux faites dans les années à venir, mais c’est un bon début. Mon axe clairement est d’essaimer, c’est-à-dire d’aider les autres à s’installer, et de faire en sorte d’accentuer cette rencontre entre des techniques qu’on a développées, la permaculture et l’agriculture. C’est devenu ma passion… et c’est presque aussi compliqué que d’être juriste !

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