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Emmerdeuse

Olivia Mokiejewski : "L'acte d'achat doit être réfléchi, c'est un acte politique qui signifie "je soutiens"."

Olivia Mokjeweski cochon
Olivia Mokjeweski a enquêté sur "Une vie de cochon" avec Yann l'Hénoret ©France2
France 2
Audrey Etner
Audrey Etner
Mis à jour le 25 février 2021
Pour sa série de documentaires sur France 2, Olivia Mokiejewski est "L'Emmerdeuse". Après une virée aux Etats-Unis pour découvrir la recette secrète du Coca-Cola, elle s'est intéressée à la production du jambon, en enquêtant au coeur des élevages en batterie et des abattoirs. Rencontre avec une journaliste qui s'amuse à dénoncer l'absurdité de notre société de consommation.

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Olivia Mokiejewski est journaliste. Elle a travaillé pour de nombreuses télévisions (France 2, M6, Canal Plus, LCI...). Elle anime une série de documentaires sur France 2, intitulée "L'emmerdeuse". Le premier, "Coca Cola et la formule secrète", réalisé avec Romain Icard, a été diffusé le mardi 8 janvier 2013. Le second, "Une vie de cochon", réalisé avec Yann l'Hénoret, a été diffusé le mardi 12 novembre 2013. 

Pourquoi « L'Emmerdeuse » ?

Pour cette série de documentaires, nous voulions trouver un terme qui incarnait l'enquête tout en montrant que l'on savait garder un peu d'humour, même sur des sujets très sérieux.

Au milieu de l'enquête sur Coca-Cola, je me suis rendu compte que personne ne voulait me répondre. Ca m'énervait et j'insistais encore et encore. Quelqu'un a lancé "Tu es vraiment une emmerdeuse !". Au fond, je ne pense pas être une vraie emmerdeuse mais je passe pour une emmerdeuse car je veux des réponses à des questions très simples, que l'on ne veut pas me donner.

Est-ce vous qui avez choisi les sujets de vos deux dernières enquêtes ?

Ces deux enquêtes sont des sujets assez personnels. J'étais vraiment accro au Coca et c’est ce qui m’a donné envie de faire ce film. En ce qui concerne le cochon, je ne suis pas une grande consommatrice de viande mais je mangeais du jambon et du saucisson.

En quoi le fait d'aimer ces produits vous aide dans votre enquête ?

Mes enquêtes sont une vraie démarche de citoyenne, de consommatrice et, de journaliste. Je me suis vraiment demandé ce qu'il y avait dans mon Coca. Ces questions, tout le monde peut se les poser. Aujourd’hui, on mange sans réfléchir, les yeux fermés. On fait confiance en se disant "Ca ne doit pas être mauvais puisque c'est en vente". Je pense qu'on est arrivé au paroxysme de la société de consommation où l'on ne se pose plus du tout de questions.

Pour le Coca-Cola, on se dit "Ah, il y a une recette secrète, alors ne nous demandons pas ce qu'il y a dedans !". Pour le jambon, on ne voit jamais l'animal, ce n'est plus vraiment de la viande, on nous montre des petits "trucs" terroir et l'on l'accepte sans essayer d'aller voir plus loin.

Parlez-nous du format de vos enquêtes : vous vous mettez en scène, 60 min, un montage dynamique, des pictogrammes... qui tranche un peu avec vos documentaires précédents.

Je faisais des documentaires animaliers très grand public, notamment pour Grandeur Nature, mais tout aussi engagés. Le but est aussi de montrer ce que l'on voit moins, car on dit qu'il faut sauver les éléphants, les orangs-outangs etc., mais on ne sait plus trop pourquoi. En plus, ils sont loin de nous, ce qui n'aide pas à se mobiliser.

Pour le documentaire sur Coca, c'est une co-réalisation avec Romain Icard. Pour le film sur le jambon, c’est Yann L'Hénoret, qui m'a aidée à me mettre en scène.

Je souhaite que nos enquêtes ne "plombent" pas les esprits et j'y ai mis un format qui m'amuse. Le but est de faire réfléchir. En alternant l'humour, l'info et des choses plus dures, le message passe mieux.

L'unique raison de me mettre en scène est de faire en sorte que les gens voient les choses un peu différemment parce que, croyez-moi, ça me coûte vraiment de me mettre à l'image ! Je peux être leur voisine, leur sœur, et j'adopte la même démarche intellectuelle qu'eux.

Pour que le consommateur puisse garder le contrôle et un peu de pouvoir, il faut réfléchir quand on consomme. Pour moi, l'acte d'achat doit être réfléchi, c'est un acte politique qui signifie "je soutiens".

Je ne dis pas "ne buvez plus de Coca" ou "ne mangez plus de jambon industriel", chacun fait ce qu’il veut mais pour moi il y a des problèmes dans la fabrication de ces deux produits, et j'espère ne pas être la seule à m'en rendre compte.

Combien de temps pour une enquête ? 

C'est très long car nous sommes une toute petite équipe et que les moyens sont limités dans le documentaire. Du début de l'enquête sur le Coca-Cola à la livraison à France 2, il s'est passé 9 mois. Pour le cochon, une enquête très compliquée, nous avons mis 6-7 mois.

Qu'est-ce qui est plus compliqué : poser les bonnes questions ou trouver les bonnes personnes pour y répondre ?

Il est quand même assez drôle de constater que j'ai rencontré les mêmes difficultés sur la boisson sans alcool la plus consommée au monde et la viande la plus consommée au monde. Je veux dire : je ne m'attaque pas au petit truc de niche ! Et là-dessus il y a une vraie omerta.

Donc trouver des gens pour répondre aux questions, et surtout, trouver des gens de l'intérieur, c'est compliqué. Ceux qui m'ont répondu ont été très courageux de le faire.

Ce qui m'importait avec un sujet aussi complexe que le porc, c'était de ne pas rester dans les clichés. Il y a beaucoup d'intérêts, c'est un piège parfait dans lequel chacun reconnaît que le bien-être animal est oublié et que les ouvriers souffrent, mais explique que l'on ne peut pas faire autrement. C’est aussi le positionnement des lobbies et de tous ceux qui n’ont pas intérêt à ce que les choses changent. Je pense au contraire qu’un autre mode d’élevage est tout à fait possible, à grande échelle, à condition de s’en donner les moyens et à condition que le consommateur soit prêt à payer un peu plus cher sa tranche de jambon et en manger un peu moins.

Justement au sujet des ouvriers abattoirs, cette phrase a été très commentée sur les réseaux sociaux "Le sort des cochons m'avait émue, le sort de ces hommes m'a bouleversée". Elle a suscité de l'incompréhension.

Certaines personnes ont du mal à comprendre qu’on puisse être touché par le sort des hommes et aussi par celui des animaux... L’un n’empêche pas l’autre. Oui, j'ai été émue par le sort des cochons. Notre société est capable "d'humaniser" un chat ou un chien en l'emmenant chez le toiletteur, chez le psy, en lui mettant un petit manteau, en dépensant beaucoup d'argent pour lui, mais elle est aussi capable de ne pas être émue par le sort des cochons, ces animaux extrêmement intelligents, au regard pénétrant, sous prétexte qu'on le mange. C'est tout à fait arbitraire.

Le fait que les animaux n'en soient plus, soient considérés comme de la « protéine sur pattes », me pose un souci éthique. On traite le vivant comme un produit. Je trouve cela inadmissible. On n'élève pas des cochons comme on fait des pots de yaourts.

Les ouvriers d’abattoirs ne sont pas insensibles du tout à la condition animale. J'ai alors réalisé l'horreur de ce piège qui empêche toute évolution, toute réflexion : pour que ces personnes puissent garder leur emploi, même si elles vivent mal, vous avez envie que ce système continue. De plus, ce système ne tient pas ses promesses, un point de vue partagé par beaucoup de paysans.

En vous attaquant à la question de l'élevage intensif, vous saviez que vous feriez réagir toutes la communauté « végé ». Pourtant, votre message n'est pas « devenez végétarien ». Pourquoi ?

Mon enquête n'est pas un plaidoyer pour le végétarisme car chacun fait ce qu'il veut.

Je pense qu'on ne peut pas être écouté aujourd'hui en disant aux gens : "devenez végétarien ". Cela me dérange que les végétariens disent à ceux qui mangent de la viande "vous êtes des assassins" et que les omnivores disent aux végétariens "vous êtes ridicules avec vos carottes".

Le choix de manger ou non de la viande est une démarche personnelle. Personnellement, je mange très peu de viande et je vais encore plus réduire cette consommation, mais ça ne regarde que moi.

Comment aller de l'avant face à toutes ces mises en garde ?

Pour moi, il y a des choses vraiment très faciles à faire. Par exemple, j'avais l'habitude de manger du saucisson comme des cacahuètes. 75 % de la viande de cochon finit en charcuterie, qui se consomme dans des moments "plaisir", mais quel est le plaisir de manger quelque chose qui est plein d'eau, qui n'a aucun intérêt nutritionnel et qui est au final très cher ? Il faut regarder le prix du jambon au kilo : c'est très cher et ça ne nourrit pas ! Il faut inclure également tous les coûts externes comme l’impact sur l’environnement, sur la santé…

Comment se fait-il qu'on donne très souvent du jambon aux enfants, notamment dans les menus enfant des restaurants ?

On le donne aux enfants parce que c'est facile, pratique et que ça n'a pas de goût (!). Ce n'est plus de la viande. Les animaux sont tués à 5-6 mois, le produit est hyper transformé, on y ajoute du sucre, du sel, de l'eau.... Au final, vous avez l'impression de donner quelque chose de sain à votre enfant alors que pas du tout. Nous sommes entrés dans le piège du marketing et on l'applique comme de gentils soldats.

Ne serait-ce pas le moment d'être honnête et de se poser la question de savoir quelle agriculture nous voulons pour demain ? Si on veut manger bien et sain, il faut faire des choix de consommation. On ne pourra pas avoir tous les jours du jambon à 1€ avec des gens qui vivent bien et des animaux dont les besoins fondamentaux sont respectés.

L'unique solution viendra de nous, j'en suis convaincue.

Et pour le Coca-Cola, le message est-il le même ?

Le but de cette entreprise est de remplacer l'eau par le Coca. Mais nous ne sommes pas obligés de suivre ! La seule boisson qui nous est indispensable est l'eau, le reste c'est du plaisir. Nous sommes dans une société boulimique.

Coca-cola et la formule secrète, enquête d'Olivia Mokiejewski et Romain Icard ©France2

Vous dites sur votre page Facebook « L'audience, pour les documentaires indépendants, c'est vital. » Parvenez-vous à vivre de votre passion aujourd'hui ?

En gros, que je réalise mon film en deux mois ou deux ans, je suis payée la même somme, au forfait. J'ai un statut d'intermittent du spectacle, je ne roule pas sur l'or, je travaille beaucoup mais ne suis pas à plaindre.

Tout ce qui compte pour moi, c'est de faire ce métier avec passion et conviction.

Pour en revenir à l'audience, lorsqu'on est sur des films comme cette série de L'Emmerdeuse qui dérangent certaines filières et qu'on veut avoir une chaîne qui nous suive financièrement, forcément, il vaut mieux faire de l'audience pour les convaincre.

On entend beaucoup de critiques des journalistes, sur le fait que les chaînes "diffusent toujours la même soupe", qu’ "il faut plus de choses nouvelles, indépendantes etc"... Oui, mais encore faut-il les regarder ensuite ! C'est comme lorsqu'on dit "Je regarde Arte" et que cette chaîne ne réalise que 3% de part de marché.

L'audience est-elle au rendez-vous pour ces deux premières enquêtes de L'Emmerdeuse ?

Oui, pour Coca-Cola nous avions dépassé les 2 millions de personnes et 12,7 % d'audience et ,pour le cochon, nous allons atteindre 1,7 millions de personnes avec le replay. C'est très bien pour un documentaire diffusé à 22h40 sur France 2, très supérieur à la moyenne de la case.

Mon seul but, c'est que ces films soient vus. C'est un vrai investissement personnel. Toutes les nuits, pendant le temps de l’enquête, j'ai rêvé des abattoirs. L'endroit est extrêmement violent et traumatisant, même si j'ai choisi un abattoir "modèle" totalement aux normes.

Aujourd'hui, je continue à avoir toutes ces personnes au téléphone régulièrement. Ces gens m'ont fait confiance, se sont livrés à moi et ces liens ont existé. Ce n'est pas que de la télé.

Vos prochains sujets ?

Je ne préfère pas dévoiler le sujet du troisième volet de L'Emmerdeuse qui n'est pas encore achevé.

Je viens par ailleurs de finir un film avec la BBC sur les similitudes entre l'homme et les singes. Il s'agit d'une émission d'information scientifique sur notre famille, les primates. Nous, les humains, nous pensons souvent que nous sommes uniques, vous risquez d’être surpris…

(Re)voir le documentaire "Coca Cola et la formule secrète", réalisé par Olivia Mokiejewski et Romain Icard. 

(Re)voir le documentaire "Une vie de cochon", réalisé par Olivia Mokiejewski et Yann l'Hénoret

La page Facebook d'Olivia Mokiejewski

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