Lettre ouverte en réponse à l’article de Madame Loly Clerc « Pas de cosméto cuisine » (Votre Beauté Décembre 2011).
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Qu’une journaliste exprime son avis personnel sous forme de « coup de gueule », pourquoi pas ? Madame Loly Clerc n’aime pas la cosmétique maison, on l’a bien compris... Qu’elle accumule les erreurs et les habituels lieux communs (l’inévitable masque au concombre) et qu’elle tienne des propos méprisants, parfaitement injustifiés, à l’égard des adeptes de la cosmétique maison est beaucoup plus discutable. Un minimum de respect eut été plus justifié, envers une pratique qui n’a rien d’obscurantiste et qui a perduré depuis plusieurs siècles, alors que la cosmétique chimique industrielle, dite conventionnelle, a tout au plus une centaine d’années. Toutefois, je ne reviendrais pas sur les propos de Mme Clerc : j’ai déjà répondu à ce type d’attaque et à aux arguments bateaux qualifiant cette pratique de « peu efficace et parfois dangereu(se) » sur le site FemininBio.
Par contre, mon honnêteté intellectuelle d’expert pharmaco-toxicologue indépendant ne peut accepter qu’un biologique vienne appuyer ses propos en alléguant des contre-vérités scientifiques notoires. Contre-vérités qui ne peuvent rester sans réponse.
Première contre-vérité (relayée par le journal « 20 minutes ») : « le principe actif du concombre est dans les pépins ». Il s’agit là d’une assertion si réductrice qu’elle en est fallacieuse. En cosmétique naturelle, comme en phytothérapie, une plante est considérée comme un totum, c'est-à-dire un ensemble de molécules actives et de nutriments, présents dans tout ou partie du végétal et dont la synergie concourt à l’efficacité du soin. Un exemple bien connu est l’aloe vera : certes, le latex contient le principe actif pharmaceutique (l’aloïne), mais la pulpe (gel), qui est employée en cosmétique, contient quant à elle un ensemble riche et complexe d’actifs et de nutriments (polysaccharides, acides aminés, minéraux, acides organiques…). C’est leur association qui contribue aux propriétés hydratantes, calmantes, et cicatrisantes du gel d’aloès. Et cela malgré le fait que « le principe actif » en soit absent. On pourrait ainsi multiplier les exemples (raisin, pamplemousse, rose et cynorrhodon, tomate…). S’il est possible, pour les industriels, de breveter certains extraits végétaux très spécifiques, il n’en demeure pas moins que la supériorité du totum a fait largement ses preuves dans bien des domaines.
La deuxième contre vérité concerne tout le passage sur la conservation des produits (un argument bien bateau), et une mise au point à ce propos me semble nécessaire. D’une part, les cosmétiques maison ne subissent pas les contraintes de conservation des produits industriels, lesquels sont conçus pour rester des mois, voire des années, dans les entrepôts, les magasins puis les placards des consommateurs. Les cosmétiques maison étant fabriqués à la demande, en fonction des besoins, on les emploie généralement quelques minutes après leur préparation. La durée de conservation peut aller jusqu'à 2-3 mois ou plus pour les préparations qui s’y prêtent (baumes gras, huiles parfumées, sels, vinaigres…). Il faut donc relativiser, voire corriger, les propos de Mr Le Joliff. Les produits à base huileuse (sans aucun produit aqueux ajouté) ne craignent pas la contamination microbienne. Comme les huiles alimentaires, ils peuvent parfaitement être conservés à température ambiante, sauf peut être dans les périodes de forte chaleur.
En revanche, ils craignent l’oxydation, d’où la nécessité de les conserver à l’abri de l’air et de la lumière (flacon en verre opaque bien fermé). En ce qui concerne les produits contenant de l’eau, il est absolument faux d’affirmer qu’ils « se contaminent immédiatement ».
Rappelons que la théorie de la « génération spontanée » est obsolète depuis les travaux de Louis Pasteur (dont le fameux ballon à col de cygne rempli d’eau est toujours intact dans le musée éponyme). Il eut été plus juste de dire que « les produits contenant de l’eau et des matières organiques favorisent le développement des microorganismes en cas de contamination microbienne ». De tels produits nécessitent donc une hygiène de préparation rigoureuse (comparable à celle mise en œuvre pour les conserves maison) et l’usage de conservateurs antimicrobiens est recommandé. Par exemple l’huile essentielle de lavande vraie à 0,5-1% fonctionne très bien. Et ça, toutes les « cosméteuses » le savent.
Pour en terminer avec le passage sur la conservation, le dernier point sur lequel je voulais revenir, et qui m’a bien « amusée », concerne la fermentation… des ferments ! Et bien oui, la levure de bière vivante (qui n’est autre que la levure de boulanger), c’est un ferment, donc ça fermente ! C’est d’ailleurs comme ça qu’on fabrique, depuis la nuit des temps, le pain et la bière, et avec d’autres ferments le vin, le kéfir, le yaourt… Car la fermentation est le plus ancien procédé de conservation connu : en se développant les ferments consomment le substrat et exercent un effet inhibiteur vis-à-vis des germes potentiellement pathogènes.
Ceci dit, dans les masques maison, on emploie plutôt la levure de bière inactivée (tuée, donc ne fermentant pas), mais il existe un merveilleux masque que l’on prépare 5 minutes avant l’emploi à base de levure de boulanger humectée d’eau tiède. Très efficace, car « cellulaire » (donc vivant et complet), je recommande systématiquement de ne le laisser poser que 5 minutes voire de le rincer au moindre signe de picotement, car il contient des enzymes actives. Ceci dit, personne ne m’a jamais signalé le moindre signe de picotement… alors que j’ai eu de nombreux retour sur son efficacité sur le teint et la pureté de la peau.
Troisième contre-vérité (et là encore il s’agit d’un poncif) : « les molécules de collagène et d’acide hyaluronique [qui] activent la régénérescence de la peau… ». Cette idée reçue est véhiculée par certains fabricants de cosmétiques sous prétexte qu’il s’agit de constituants naturels de la peau (oui, mais du derme). Le collagène (naturel mais généralement issu de déchets agro-alimentaires ) et l’acide hyaluronique (issu de biotechnologie) sont des macromolécules de poids moléculaire moyen de l’ordre de 300 000 Dalton pour le premier et de quelques milliers à plusieurs millions de Dalton pour le second. Ils sont donc bien incapables de pénétrer dans la peau (la limite de passage étant de l’ordre de 500 Dalton) [1]. Ils restent en surface et forment au contact de l’eau un film (hydrogel) qui empêche l’évaporation de l’eau et maintiennent un environnement favorable à l’hydratation des couches superficielles. Tout cela n’est pas si mal. Quoi qu’il en soit, ils n’ont aucune action « régénérante » in situ. Par contre, notre bon vieux gel d’aloès, qui est un lui aussi un hydrogel, contient en plus de nombreux nutriments (acides aminés, sucres, minéraux…) qui eu ont un effet régénérant et participe à l’hydratation en profondeur en se mêlant aux NMF [2].
Pour conclure, si Mme Clerc déclare en ironisant que « la modernité, c’est le retour en arrière », je dirais plutôt que la modernité, c’est la vigilance. C’est être au courant des méfaits des produits chimiques plus ou moins toxiques qui sévissent dans tous les domaines (agro-alimentaire, pharmaceutique, cosmétique, textiles, emballages…), et de refuser de se laisser passivement empoisonner à petit feu. Quant aux soi-disant dangers des produits maison, je crois bien que la ménagère qui s’applique une banane mixée sur les cheveux pèse bien peu face au lobby des cosmétiques issus de l’industrie pétrochimique (le plus gros empoisonneur de tous les temps, une Brinvilliers élevée au rang multinationale)… Entre la pulpe de banane ou les tranches de concombre et une formule pouvant contenir jusqu'à plus de 80 ingrédients de toutes origines (oui, cela existe), dont aucune interaction n’a été étudiée, pas plus que les effets à l’état de traces, l’expert pharmaco-toxicologue que je suis a fait son choix et ne le regrette pas…
1) Bos JD and Meinardi MM. « The 500 Dalton rule for the skin penetration of chemical compounds and drugs. Experimental Dermatology 2000;9(3):165-9. 2) NMF = natural moisturizing factors.
Sylvie Hampikian
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