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Souffrance scolaire

Emmanuelle Piquet et la souffrance scolaire : " Il ne faut surtout pas intervenir à la place de l'enfant"

enfant sourire
En cas de gros problème relationnel à l'école : pensez à la thérapie brève pour votre enfant
Istock
Audrey Etner
Audrey Etner
Mis à jour le 25 février 2021
On a adoré le talk d'Emmanuelle Piquet sur la cour de récré... On l'a interviewé sur le CRISS, la souffrance scolaire, et son expérience au TEDX Vaugirard Road. Rencontre.

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Emmanuelle Piquet est l'une des contributrices du TEDxVaugirardRoad, un événement sous licence TED résolument centré sur l'humain.

Nous avons croisé votre chemin lors de la dernière édition du TEDx Vaugirard Road. Qu'est-ce qui vous a décidé à vivre cette expérience ?

La même envie que celle qui m’a poussée à monter le CRISS : diffuser l’utilisation de la thérapie brève et stratégique de Palo Alto dans le traitement de souffrances relationnelles en particulier en ce qui concerne les enfants. Parce que malgré son étonnante efficacité, en raison d’une culture profondément psychanalytique en France, on n’en parle pas suffisamment et on laisse des situations de grande souffrance perdurer, alors que des solutions pragmatiques sont possibles.

Qu'avez-vous ressenti pendant et après votre talk ?

Avec beaucoup de bienveillance, les organisateurs de Tedx (un grand merci à Anne Rocher et Catherine Taret) nous poussent dans notre zone d’inconfort, donc l’avant a été stressant. Douze minutes, c’est un format qui ne laisse pas droit à l’erreur, on ne peut rien oublier.  Après, j’ai été très heureuse parce que j’ai eu la sensation d’avoir pu exprimer la façon dont nous travaillions au CRISS. C’était un enjeu fort pour moi et toute l’équipe des praticiennes qui travaillent avec moi.

De tous les speakers, vous êtes l'une des rares à ne pas avoir axé votre talk sur votre propre enfance. Pourquoi ?

Je ne sais pas. Sans doute parce que je ne suis pas très ancrée justement dans cette culture freudienne qui rattache tout à l’enfance. Je me sentais plutôt porte-parole des enfants que nous recevons en consultation qu’en train de parler de mon enfance à moi.

Vous y parliez de la cour d'école, ce territoire « sauvage » où certains enfants souffrent plus qu'ils n'apprennent ou jouent. Nous sommes tous un peu reconnus dans les cas que vous présentiez, nous ramenant à une époque pas forcément rêvée. Est-ce un passage obligé dans le système scolaire français ?

Non, pas du tout. 12% seulement des enfants estiment avoir été harcelés ou l’être encore dans la cour en primaire. Je suis à peu près certaine que ce pourcentage augmente au collège pour redescendre au lycée.  Mais ce que nous traitons au CRISS, ce ne sont pas les petites difficultés quotidiennes de disputes anodines et normales, mais bien des situations où l’agressivité se répète, la souffrance s’amplifie, que l’on pourrait qualifier de cercle vicieux par leur caractère répétitif. Ce n’est donc pas la majorité.

Mais je crois que tout le monde s’est retrouvé confronté à ce type de souffrance dans la cour, comme victime, comme harceleur ou comme observateur passif (la grande majorité). Des héros qui défendent, à l’instar de ce que nous présentent les clips de l’Education Nationale qui sont par ailleurs très bien faits, il n’y en a en revanche pas beaucoup.

Après 15 ans en entreprise où vous avez exercé comme consultante, formatrice et DRH vous avez cofondé le CRISS avec Marie Quartier. Pourquoi avoir eu envie de "retourner à l'enfance" ?

Lorsque j’ai été diplômée de l’Institut Gregory Bateson et que je me suis installée en libéral, j’ai reçu assez vite beaucoup d’enfants, parce que je m’entends bien avec eux, je pense. Et j’ai été frappée par ce que nous appellons au CRISS « le syndrome de popularité » qui est apparu il y a selon nous, une petite dizaine d’années et qui fait que nos enfants sont prêts à tout pour avoir des relations, et extrêmement malheureux et désarmés quand ils n’y parviennent pas. Et j’ai trouvé à la fois qu’il y avait très peu de réponses pragmatiques et concrètes pour aider ces enfants et surtout que la thérapie brève stratégique de Palo Alto était un outil ultra adapté puisqu'on peut vraiment arrêter des cercles vicieux en une ou deux séances.

En quoi consiste la thérapie brève de l'école de Palo Alto que vous pratiquez au CRISS contre la souffrance scolaire ?

Les théoriciens du MRI ont travaillé à la fin de la seconde guerre mondiale, sur une approche thérapeutique très développée en Europe et aux Etats-Unis qui se centre sur le "ici maintenant" et plus précisément sur ce que le patient peut mettre en place concrètement pour résoudre son problème ou apaiser sa souffrance. La pierre angulaire de ce modèle de résolution de problème est cette idée géniale que le problème est entretenu et amplifié par les tentatives de régulation mises en place pour le résoudre, soit par le patient, soit par son entourage.

Comme le disait Watzlavick, le problème, c’est la solution. Et qu’il faut donc stopper ces tentatives de régulation inopérantes pour que le problème se résolve et que la souffrance s’apaise. La thérapie consiste donc à identifier précisément ces différentes tentatives de régulation, à en synthétiser le mouvement global et à proposer des tâches, des comportements qui iront exactement à l’opposé. Ce sont des thérapies absolument non normatives, non pathologisantes, et brèves parce que tout le monde travaille, et notamment parce que le patient travaille en dehors des séances. Elle est très adaptée aux attentes des enfants qui ont envie de solutions pragmatiques et rapides.

Lors de votre talk, vous expliquiez « donner des flèches » aux enfants pour qu'ils puissent se défendre. En quoi le fait de proposer une solution "toute faite" à un enfant lui permet ensuite de faire face seul à une situation sans faire de lui un manipulateur ?

Les enfants qui viennent consulter pour ce type de souffrances ont souvent une estime d'eux proche de zéro en ce qui concerne leurs compétences relationnelles et pour une grande majorité, la certitude qu'ils ne peuvent rien changer à la situation. Leur demander de trouver une "flèche" est à cet instant contre-productif car cela les remet dans cette zone de souffrances, ils sont incapables de la moindre créativité sur ce sujet précis. Nous la leur proposons donc en prenant précisément en compte le contexte qui est le leur, mais au bout du compte, c'est eux, qui vont décocher seuls, la flèche.

Lorsque je dis "sans faire à leur place", je m'élève contre les prises en charge systématiques des adultes pour punir l'enfant qui agresse, ce qui ne fait que cristalliser l'interaction dysfonctionnelle.

Enfin, nous insistons fortement sur le fait que pour fonctionner, cette flèche doit être une flèche défensive, une flèche d'arrêt, jamais d'attaque. Et les enfants que nous avons suivis depuis 6 ans au CRISS ne se sont jamais transformés en attaquants, j'en suis certaine, ils voulaient juste être outillés pour que le harcèlement s'arrête, pas plus. 

Finalement qui souffre le plus dans ce système : les enfants ? Les parents ? Les enseignants ?

Je ne saurais pas les coter. Je pense qu’il y a plus d’inquiétude que de réelle souffrance chez les parents. Je pense qu’il peut y avoir de très grandes souffrances chez les enfants désarmés relationnellement. J'ai vu des enfants avec les yeux tournés vers l'intérieur, qui n'étaient plus dans la relation tant ils avaient soufferts et des carapaces parfois difficiles à rendre plus souple

Chez les enseignants aussi, je vois énormément de souffrance. Nous suivons nombre d’entre eux en coaching individuel et franchement, leur impuissance et leur frustration sont immenses, notamment pour les enseignants en fin de carrière qui voient les codes relationnels évoluer d'une façon forte et des métiers qu'ils adoraient deviennent une source de dépression.

Que faire alors si l'on a un enfant / adolescent qui souffre à l'école ?

On constate qu'il n'y a pas de mode d'emploi, et qu'on ne peut pas proposer de thérapie préventive. On traite le problème lorsqu'il survient, sinon on risque les « prophéties autovalidantes ». En tant que parent on peut faire des choses, mais parfois les enfants ne souhaitent pas que les parents interviennent. D'autre part, il ne faut surtout pas intervenir à la place de l'enfant, comme ces mamans qui en viennent aux mains à la sortie d'école ! Si l'on donne une flèche à son enfant, il faut vraiment bien préparer le contexte pour qu'elle agisse vraiment et au bon moment.

Il ne faut pas hésiter aussi à consulter en thérapie brève pour aider l'enfant à trouver des solutions, notamment au CRISS que nous nous attachons à développer à Paris, Annecy, Nantes et également en Europe francophone Belgique, Suisse, Luxembourg. 

>> Co-fondatrice du CRISS, Emmanuelle Piquet est psycho-praticienne et formatrice. Elle s'occupe des problématiques de souffrance enfantine et adolescente. Elle écrit par ailleurs pour les enfants et a publié en 2011 "À quoi ça sert de vivre si on meurt à la fin" aux Éditions Sarbacane.

Retouvez plus d'informations sur la souffrance scolaire sur le site du CRISS et découvrez le talk d'Emmanuelle Piquet au TEDx Vaugirard Road. 

 

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