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Âge et beauté

Assumer ou cacher ses cheveux blancs : sens et perception de la canitie des origines à nos jours

Avoir des cheveux blancs est-il un signe de vieillesse, de sagesse ? A travers les âges, on cherche un sens à la "canitie"
Jens Lindner / Unsplash
Cheveux divins Cheveux divins
Michel Messu
Par Michel Messu
Mis à jour le 29 juin 2022

Les cheveux blancs correspondent souvent aux premiers signes de la vieillesse. Dans l'Histoire, ils ont représentés la sagesse et l'autorité. Ces symboles, en réalité, n'étaient accordés qu'aux hommes. On observe cependant un basculement des perceptions de nos jours. Plongée historique avec Michel Messu, auteur de l'ouvrage Un ethnologue chez le coiffeur, éditions Fayard.


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Dans la plupart des sociétés, une femme qui a des cheveux blancs évoque le respect mais non la sagesse. Les femmes se sentent donc contraintes d'agir en les colorant. Les hommes au contraire, peuvent se targuer d'avoir les cheveux "poivre et sel". Que symbolise les cheveux blancs et en quoi leur perception est-elle le reflet d'une société ? Réponse.

La symbolique de la blanche tignasse

Avoir le cheveu blanc est le signe que l’on vieillit, c’est entendu. Notons que cela peut se produire avant d’avoir atteint un âge canonique, non pas à la suite d’un traumatisme psychologique comme on a pu le dire parfois, mais parce que notre génétique programme la raréfaction des mélanocytes responsables de la couleur de nos cheveux. Et, selon l’hérédité qu’il nous faut assumer cela entraîne que tout ou partie de notre chevelure prendra plus ou moins vite des nuances immaculées. Pas de quoi se faire des cheveux blancs, est-on tenté de se dire !

Il n’empêche, au cours des temps, les humains n’ont eu de cesse de chercher à donner un supplément de sens à ce phénomène purement biologique. Et nous n’échappons pas à la règle. Longtemps associée à la sagesse, la canitie (c’est ainsi qu’on appelle le phénomène de blanchiment du cheveu) est devenue dans nos sociétés une marque trop visible de notre avancée en âge. Encore que, notre capacité à faire varier le sens des choses étant illimitée, le crin blanc pourrait retrouver quelque potentiel honorifique.

Sages têtes chenues

Les prophètes de la Bible, les illustres personnages de la Grèce et de la Rome antiques sont très souvent représentés sous l’apparence de vieillards au cheveu blanchi et à la barbe immaculée. De manière générale, et pour longtemps encore, ces sociétés associaient l’âge avancé et la sagesse dans la conduite des affaires humaines. C’est que la sagesse est foncièrement conçue comme résultant de l’expérience acquise au cours de la vie. Plus la vie sera longue, plus l’expérience sera importante et plus la sagesse sera grande. C’est là la figure du patriarche qui s’imposera aussi bien chez les puissants et les personnages légendaires que chez les plus humbles. Figure emblématique d’un système d’organisation sociale, le patriarcat, qui assoira l’autorité des hommes sur les femmes et des hommes âgés sur les plus jeunes.

Leurs cheveux blancs symbolisent donc leur position et leur statut social et en même temps il est le signe manifeste que nous avons affaire à un détenteur de l’autorité auquel on doit se soumettre et lui vouer un respect sans faille. Le cheveu qui naturellement blanchit avec le poids des ans chez tous les êtres humains reçoit pour certains, les hommes en l’occurrence, une valeur symbolique que l’on n’accordera pas complètement aux femmes.

Chez elles, même s’il reste la marque de leur féminité et de leur beauté, même s’il incite au respect de leur personne, il ne sera guère associé à la sagesse et au pouvoir. Dans la littérature et les arts plastiques, il est le plus souvent associé à la décrépitude physique du corps et à la faiblesse d’esprit, qu’elle soit bienveillante ou inquiétante. Aussi, dès le XIXe siècle, les femmes qui abordent la vieillesse – et cela se fait à un âge plus précoce que de nos jours – tentent d’escamoter leur blancheur naissante.

Quand la jeunesse nous fuit

Les sociétés modernes en effet vont de plus en plus associer le blanchiment du cheveu à la perte de la jeunesse et de la force de l’âge adulte. La vieillesse apparaît moins comme un capital d’expériences susceptible d’être transmis que comme un défaut d’adaptation aux conditions nouvelles de la vie dans lesquelles s’épanouissent les nouvelles générations. Arborer une crinière blanche n’assure plus de dignité particulière ni ne confère d’autorité certaine.

C’est que, dans ces sociétés, la sagesse ne siège plus foncièrement dans une tradition que l’expérience accumulée au cours d’une longue vie permet d’acquérir et de transmettre, mais dans les connaissances nouvelles que le rationalisme scientifique est en train de répandre. L’ordre des choses, pense-t-on, est moins à suivre qu’à connaître et peut-être à transformer. Notre cheveu ne fera pas exception.

D’abord dans les classes supérieures puis par généralisation aux autres couches de la population, différentes techniques industrielles viendront compenser les ravages du temps. Les perruques avaient su faire oublier les calvities malséantes, les teintures, mises au point au XIXe et commercialisées à l’échelle mondiale au XXe siècle, tenteront de repousser sine die la canitie.

Car, dans des sociétés où la jeunesse est devenue une valeur cardinale, le paraître jeune, surtout lorsqu’on avance en âge, devient un impératif social, et celui-ci concerne d’abord notre apparence physique, nos cheveux au premier chef. D’où la chasse aux premiers cheveux blancs et les plans de bataille pour éradiquer les albescentes racines.

A lire sur FemininBio : Cheveux blancs: pourquoi (et comment) les assumer pleinement? - FemininBio

L’artifice naturel et la nature artificielle

Dans toutes les sociétés connues on enregistre des transformations volontaires de notre nature physique (mutilations, scarifications, tatouages, etc.). Ce sont le plus souvent des signes qui symbolisent notre appartenance à un groupe ou une catégorie sociale définie. Le cheveu s’inscrit dans cet ensemble de signes symbolisant nos appartenances. Si aujourd’hui ces dernières relèvent pour une bonne part des choix faits par les individus, elles n’en gardent pas moins une portée et une signification sociales. Rester jeune, garder une apparence jeune, cacher sa canitie, sont des comportements individuels dont le sens est éminemment social.

Mais dans une société vieillissante, où l’état de jeunesse paraît moins glorieux qu’hier, la loi du nombre, surtout lorsqu’elle s’accompagne d’une vision avantageuse de l’état de vieillesse, risque de renverser l’ordre des valeurs mis en place avec la modernité. Que des femmes et des hommes n’hésitent plus à arborer leurs cheveux blancs, voire à les faire blanchir plus tôt, est peut-être le signe que ce renversement est en marche.

Notre expert

Michel Messu, sociologue et ethnologue, a été directeur de recherche au CRÉDOC, puis directeur du GRASS (CNRS), il est actuellement professeur à l’université de Nantes. Son site web Site officiel de Michel Messu - Accueil (michel-messu.sitew.com)

Son livre

(©Editions Fayard)

Un ethnologue chez le coiffeur, 2013, Fayard

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