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Traumatisme

Prendre la parole face à l'abus sexuel, les conseils d'une psychologue

violences sexuelles la force de ne plus se taire
"Si vous connaissez une victime d'abus ou d'agression sexuelle, la première chose à faire est de l'aider à ne plus côtoyer son agresseur, de l'en éloigner ou de l'en protéger."
Mihai Surdu / Unsplash
Ariane Calvo
Ariane Calvo
Mis à jour le 25 février 2021
Depuis les affaires Weinstein, DSK, Baupin, Hamilton, la parole se libère autour des violences sexuelles. Pourtant les statistiques sont terribles. On estime à moins de 15 % le taux de plaintes liées aux violences sexuelles en France. Pourquoi ce silence et comment en sortir si vous êtes victime ou proche d'une victime ?

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Cet article a été publié dans le magazine FemininBio #22 avril-mai 2019

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Aujourd’hui presque chaque femme a vécu, vit ou vivra une violence sexuelle au cours de sa vie, sous une forme ou sous une autre, que ce soit le harcèlement de rue, le harcèlement sexuel, l'abus, les attouchements, les tentatives de viol ou le viol.

De quoi parle-t-on ?

Toute forme de contact sexuel non consenti constitue une agression sexuelle. Un abus sexuel est une mise en relation ou un contact physique par lesquels une personne se sert d’une autre en vue d'une stimulation sexuelle. On parle de viol lors de toute pénétration sexuelle sans consentement. Il peut également être question de viol au sein d’une relation consentie.

Quelles conséquences ?

Les victimes perdent souvent prise sur leur vie quotidienne en raison du phénomène de dissociation. Le cerveau, dans des situations de stress extrême, met en place un disjoncteur qui fait sauter le circuit émotionnel. On ne ressent plus ni ses émotions ni sa douleur. Plus une personne est dissociée, plus elle est en fait traumatisée. Mais aux yeux des autres, elle semble juste détachée.

Les conséquences les plus courantes des violences sexuelles sont une perte de l’estime de soi due au fait que vous n’avez pas pu vous défendre. Un sentiment d’impuissance qui fait tache d’huile. Un abus sexuel est toujours imposé. Qu'il se produise une fois ou cent fois, avec ou sans violence, ne change rien au fait que vous avez été privée de votre liberté de choix.

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Une autre conséquence est une forme d’insensibilité : pour ne plus ressentir la rage ou la souffrance, on se prive de ressentir aussi le désir, le plaisir ou la joie, car toutes les émotions empruntent le même "canal" psychique. On trouve aussi des troubles sexuels et des somatisations : maux de ventre, mycoses chroniques, infections gynécologiques...

De plus, 50 % des victimes de violences sexuelles développent des addictions, que ce soit à des produits ou à des comportements (travail, sexe, achats compulsifs, écrans, etc.). Enfin une des conséquences est un sentiment de honte lié à l’ambivalence. Ce qui prive le plus les victimes de parole c’est qu’elles ont parfois été à l’origine des premiers contacts avec l’agresseur ou ont ressenti du plaisir au moment des faits. Cela peut se produire en raison de la stimulation mécanique – des organes sexuels (en particulier le clitoris) – ou relationnelle (compliments, paroles valorisantes, témoignages d’attention ou de désir, etc.).

C’est grave ?

Toutes les formes d’agression sexuelle sont graves et condamnables, et la responsabilité incombe à l’agresseur ; la "provocation" est un mythe. Tant que vous ne donnez pas explicitement votre consentement, il s’agit d’un abus sexuel.

Pourquoi a-t-on tant de mal à en parler ?

Parler est très difficile, pour plusieurs raisons. On met beaucoup de temps à réaliser ce qui s’est vraiment passé et à comprendre, à cause de la sidération psychique que l’agression a provoquée. Le souvenir traumatique est présent en toile de fond et ses effets peuvent émerger à tout moment. Vous vous sentez en partie ou totalement coupable, et le doute vous ronge. "J’aurais dû me défendre", "Je n’ai pas dit non", "Je l’ai cherché" sont des phrases que l’on se répète en boucle dans ces situations, mais elles sont des non-sens : qui pourrait avoir provoqué ou souhaité une agression ? Personne. Vous doutez de ce que vous avez vécu, car le traumatisme a une incidence sur la mémoire.

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Et, comme souvent dans ces situations, vous n’avez pas de preuves. Les seules choses qui pourront apporter une preuve sont votre parole et le fait que d’autres victimes aient parlé aussi. En effet, la parole concordante et répétée de plusieurs personnes constitue un premier faisceau d’indices.

Vous avez peur des conséquences : quand vous décidez de dire ce qui vous est arrivé, vous faites bouger des lignes et perturbez la tranquillité (fausse) de votre entourage ou de la société. Vous n’avez pas à vous préoccuper du bien-être social. De plus, la vraie tranquillité relationnelle et sociale passera par la fin de ce genre d’agressions, et donc par la parole libérée des victimes.

Comment s’en sortir ?

On a tendance à se dire que l’on voudrait que personne ne le sache, jamais; on voudrait pouvoir tout oublier soi-même... Pourtant, étouffer cette expérience risque de vous faire revivre cet abus encore et encore. Pour qu’une victime ose parler, il faut qu’il y ait reconnaissance des faits par une autre personne. C’est quand on s’entend dire pour la première fois "c’est très grave ce qui s’est passé" ou "il n’a pas le droit de faire ça" qu’on peut trouver la force d’affronter tout cela.

Les associations sont unanimes. Pour une victime de violences sexuelles, parler est un premier pas vers la reconstruction, même si les conséquences, en particulier lors de prises de parole publiques, peuvent se révéler douloureuses.

Pour pouvoir parler, les victimes ont besoin d’empathie et de ne pas se sentir jugées. En parlant avec votre meilleure amie ou un membre de votre famille, vous faites déjà un immense pas en avant. Lorsque vous aurez décidé de parler, entourez-vous de personnes claires sur ce sujet et totalement respectueuses de qui vous êtes et de votre décision : une amie, une sœur, une mère, une psychothérapeute, une avocate, peu importe. Il faut que ce soit une personne qui ne vous laissera pas tomber, qui vous croit totalement et qui vous soutiendra quelles que soient les décisions que vous prendrez pour vous en sortir.

Pour cela, il faut aussi ne plus côtoyer son agresseur, sinon le système de dissociation reste en marche. Si vous connaissez une victime d’abus ou d’agression sexuelle, la première chose à faire est de l’aider à ne plus côtoyer son agresseur, de l’en éloigner ou de l’en protéger.

Ne lui demandez jamais "pourquoi tu n’as pas parlé avant ?", ne lui reprochez jamais de ne pas s’être défendue, n’essayez surtout pas de la convaincre de se taire ou de ne pas faire trop de remous.

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Seules deux étapes permettent de retrouver la liberté et le plaisir d’être en vie : regarder la réalité en face et décider de revivre, car, une seule règle psychologique est absolue : pour changer une situation, il faut d’abord l’accepter.

Si vous êtes bien prise en charge psychologiquement et émotionnellement, vous pourrez retrouver votre confiance et une meilleure estime de soi. Le plus important est de comprendre le système de la double peine que s’infligent les victimes : non seulement elles ont vécu une agression, mais elles perpétuent elles-mêmes les conséquences de l’agression par le silence et la honte, puisque seule la parole peut les sortir de la culpabilité.

Entourez-vous et parlez. Faites-le pour vous et pour toutes celles qui ont encore peur et honte, ou qui sont encore en danger, dans l’emprise ou la violence. Vous n’êtes pas un objet, vous êtes une femme. Libre. Et digne d’être respectée et aimée.

Notre experte

Ariane Calvo est psychologue ainsi que psychothérapeute spécialisée en psychotraumatisme et résilience. Elle est également praticienne en méditation de pleine conscience, auteure de plusieurs ouvrages de psychologie et formatrice.

Pour aller plus loin : "Le décodeur des violences psychologiques", par Ariane Calvo, à paraître chez First éditions

 

 

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