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Cancer du sein

Alexia Cassar, tatoueuse de tétons en 3D pour les femmes atteintes de cancer

alexia cassar
Alexia utilise une technique de tatouage trompe-l’œil pour créer l’illusion du relief, de la texture et de la couleur du téton.
Les Bandits
Audrey Etner
Audrey Etner
Mis à jour le 25 février 2021
Ancienne chercheuse dans les traitements contre le cancer, Alexia Cassar consacre aujourd'hui sa vie à redonner de l'espoir aux femmes atteintes de cancer du sein. A l'encre de son dermographe, elle réalise des tétons en 3D et sublime les corps meurtris par la mastectomie.

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Biologiste de formation, Alexia Cassar a travaillé pendant plus de quinze ans dans le domaine de la recherche clinique en oncologie, pour développer de nouveaux traitements contre le cancer, à l’hôpital mais aussi dans de grands laboratoires pharmaceutiques. Attirée par le tatouage et dotée d'une fibre artistique naturelle, la scientifique de 42 ans s'est formée aux Etats-Unis au tatouage 3D pour aider les victimes du cancer du sein à se réapproprier leur corps.

Femininbio : Quel a été le déclic pour vous lancer corps et âme dans cette aventure ?

Alexia Cassar : Quand ma plus jeune fille âgée de 10 mois a été touchée par une leucémie, le besoin de me sentir plus utile dans la lutte contre les dommages du cancer est né. J’avais la sensation de travailler de manière anonyme et de ne pas sentir la différence qu’on peut apporter de manière personnalisée aux personnes atteintes de cancer. Avec ce métier, j’ai une relation directe et unique avec chaque personne que je reçois, et c’est important dans le processus de reconstruction physique et émotionnelle. La vision du travail du tatoueur de Baltimore Vinnie Myers, spécialisé dans le tatouage après mastectomie de tétons réalistes en 3D a été une révélation. Le cancer du sein est bien souvent considéré comme un cancer "commun" duquel on guérit la plupart du temps ; or il a des conséquences parfois lourdes sur le plan social, conjugal et émotionnel qui vont au-delà du "tout rose" que l’on voit parfois.

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Moi-même tatouée de longue date et après avoir traversé des moments de vie difficiles, j’ai toujours été attirée par cet art qui sublime les corps et permet de traverser la vie avec une "nouvelle peau" après les épreuves. Ayant toujours dessiné, ce rapport à l’artistique a été indispensable pour pouvoir aborder ce virage et suivre le long et patient apprentissage de ce métier d’art qu’est le tatouage.

Comment vous êtes-vous formée ?

J’ai toujours dessiné et donc forte de cette compétence artistique j’ai pu obtenir un apprentissage auprès d’un maître tatoueur, auquel je me suis dédiée à plein temps pendant plus d’une année avant d’assister à une formation sur le tatouage médical (dermopigmentation réparatrice). Mais je savais qu’il fallait aller au-delà de cette technique qui était visuellement insatisfaisante et surtout pas définitive. J’ai aussi pu avoir beaucoup de formations sur les techniques de reconstruction auprès de chirurgiens plasticiens pour bien comprendre ce par quoi passaient les femmes et hommes concernés. Je suis allée compléter ces formations par une formation spécifique au tatouage 3D après mastectomie aux Etats-Unis.

Ce type de tatouage se fait sur des peaux abîmées par la chirurgie, la radiothérapie et aussi la chimiothérapie, et auprès de personnes en souffrance qu’un résultat approximatif ou une technique non précise pourraient anéantir. Avec comme préalable plus de 6000h de formation auprès d’un tatoueur et sous son contrôle, plusieurs centaines de tatouages de tous types sur tous types de peau, une formation dédiée mais courte aux Etats-Unis, les formations auprès des chirurgiens et la recherche bibliographique sur le sujet, j’ai pu à ce jour pu accumuler plus de 4000h de spécialisation à travers les tatouages 3D que j’ai réalisés depuis et ceci n’est à ce jour pas comparable avec des formations de quelques heures voire même quelques semaines dispensées dans des écoles de tatouage ou des instituts de formation. Il est urgent de pouvoir encadrer ces pratiques à l’avenir, car des déceptions voire des accidents seront inévitables si les gens ne sont pas dûment formés.

Vous sentez-vous plutôt tatoueuse ou accompagnante médicale ?

Le tatouage est un Art, et même s’il permet de reconstruire l’estime de soi et de panser les blessures de l’âme, il ne peut pas lui être prêté de vertus thérapeutiques en tant que telles. Il aide à avancer, à se sentir mieux, à reprendre le contrôle sur ses émotions et sa vie. En cela, j’accompagne mes client(e)s vers un mieux-être après les épreuves de la maladie en leur donnant confiance en leur image corporelle mais cela s’arrête là. Je ne fais pas de confusion entre le monde des soignants et ce que j’apporte avec ce geste. Ces deux mondes sont pourtant complémentaires.

En quoi le tatouage 3D que vous pratiquez est-il différent d'un tatouage classique ? 

Cette technique de tatouage non médicale mais avant tout artistique dérive du tatouage artistique traditionnel et est basée sur l’utilisation du trompe-l’œil pour simuler lors du geste de tatouage l’illusion du relief, de la texture et de la couleur de l’aréole et du mamelon après son ablation. Tout cela dans l'objectif de redonner une symétrie avec le sein restant (dont on réalise une sorte de "copie") ou recréer complètement les deux mamelons et aréoles quand la mastectomie a été faite sur les deux seins. La maîtrise des techniques de dessin est impérative pour assurer le réalisme et la ressemblance avec le sein restant, et la maîtrise du tatouage sur cicatrices et peaux irradiées sont également clés pour un résultat qui est définitif et pour lequel les attentes esthétiques sont importantes.

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Le tatouage sur cicatrices n’est pas proposé par tous les tatoueurs et beaucoup d’entre eux ne se sentent pas rassurés de tatouer des tissus abîmés par la radiothérapie ou la chirurgie. Le fait de tatouer une personne qui a été touchée par le cancer n’est pas évident non plus pour tous les aspects psychologiques qui sont attachés à ce passé. Enfin ce type de tatouage est perçu à tort comme non artistique, et donc moins populaire. Mais cela évolue positivement.

Le tatouage médical ou dermopigmentation réparatrice a été utilisé dans cette indication pendant de nombreuses années mais le côté peu réaliste et surtout semi-permanent des pigments utilisés pour la réalisation de ce geste sont de plus en plus insatisfaisants pour les personnes touchées par cette maladie qui ont envie et besoin d’un résultat définitif, personnalisé et réaliste pour finaliser leur long parcours de reconstruction après un cancer. Certains salons de tatouage ont proposé ce geste sur demande de leurs clientes mais à ce jour aucun ne s’était spécialisé dans ce type de tatouage qui demande précision, expertise et accueil spécifique.

Existe-t-il des risques ou des contre-indications à recevoir ce tatouage ?

Les risques sont les mêmes que pour un tatouage « classique » (risques infectieux, risques allergiques) et les contre-indications sont les mêmes même si la population concernée est plus fragile que la population générale (on ne tatouera pas en cas de maladie de peau active, maladie auto-immune, diabète insulino-dépendant, allergies graves, immunodépression, hémophilie, grossesse, allaitement etc…). Pour ma part je ne tatoue pas avant une année de cicatrisation après la dernière intervention ou radiothérapie, deux ans s’il s’agit d’un tatouage décoratif sur cicatrices de mastectomie.

Au-delà du tatouage, c'est une vraie reconstruction psychologique qui accompagne votre démarche. Comment vous préparez-vous / formez-vous à recevoir des personnes fragilisées par un si lourd parcours de soin ?

En tant que biologiste, j’ai toujours été très impressionnée par la capacité du cancer à avoir en lui les mécanismes biologiques de défense, de croissance, de résistance, d’invasion et d’adaptation à son environnement, ce sont des phénomènes passionnants sur le plan de la recherche mais qui du coup échappent à notre conception de la maladie quand elle nous touche de plus près. Après avoir accompagné des patients atteints de cancer à l’hôpital, j’ai ainsi pu personnellement comprendre les conséquences familiales, conjugales, professionnelles, sociales, financières et même sociétales de la maladie en étant « aidant ». Et cela a changé ma vision de choses, en bien.

Le cancer n’est pas une fin en soi, c’est aussi un événement qui nous permet de trouver de nouvelles ressources en nous pour continuer à avancer. C’est ce que je veux transmettre aux personnes qui viennent me voir pour se reconstruire, physiquement avec le tatouage et moralement aussi, avec l’écoute et l’empathie. Et je défends âprement aujourd’hui pour les ex-malades ce droit à se reconstruire dans la dignité et la compétence face au tsunami de « vocations » que la médiatisation de mon projet a créé, tant aujourd’hui on voit fleurir partout des offres de « tatouage de tétons » proposés par des personnes n’ayant pas conscience de cette fragilité et de la technicité requise par ce geste qui n’a rien d’intuitif et doit être patiemment appris avant que d’être mis en œuvre en autodidacte…

Quels sont vos prochains projets / défis ?

Je travaille à faire connaître cette alternative artistique par le monde médical, pour qu’elle puisse bénéficier à davantage de personnes de manière sécuritaire. La médiatisation grand public a déjà eu un côté pervers en faisant se multiplier les offres de tatouages de reconstruction par des autodidactes non compétents dont je commence déjà à devoir rattraper les dégâts. Il s’agit en premier lieu de faire reconnaître un socle de compétences minimales pour ce geste et ainsi le certifier et en accorder l’accès uniquement à des personnes excellemment formées et compétentes car les dommages créés par l’inexpertise sont irréversibles. Une fois ce geste encadré il pourra être enseigné à un petit nombre de tatoueurs dédiés pour qu’il reste bien exécuté et vraiment réparateur, et qu’il soit à terme, remboursé. Des mutuelles se sont déjà engagées à mes côtés.

Nous travaillons avec des chirurgiens sur des projets de recherche pour observer ses effets à long terme et proposer des recommandations pour sa pratique qui n’est à ce jour pas encadrée. En France, 20 000 femmes par an sont concernées par une mastectomie et seules 20 à 30% choisissent de se faire reconstruire. J’aimerais participer à faire bouger les lignes de ce côté-là en leur donnant un espoir de se retrouver pleinement.

Biologiste de formation, Alexia est tattoueuse de téton en 3D et tient un salon dédié à la reconstruction après un cancer du sein, "The Tétons Tattoo Shop" en région parisienne et à Nice. Retrouvez toute l'actualité d'Alexia sur son site The Tétons tattoo Shop 

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