Ancienne journaliste correspondante en Afrique centrale et de l'Est, Stéphanie Braquehais dédie aujourd'hui son temps à la traduction et l'animation d'ateliers d'écriture en milieu scolaire. Dans son dernier essai Jour zéro, paru aux éditions de l'Iconoclaste, elle raconte avec humour et fraîcheur les réactions de ses proches lorsqu'elle annonce qu'elle ne boit plus d'alcool. Rencontre avec une femme libérée des injonctions sociales.
FemininBio : Pourquoi avez-vous décidé d'écrire sur votre sobriété ?
Stéphanie Braquehais : L’écriture a tout de suite accompagné l’arrêt de l’alcool. J’ai eu envie de me prendre comme cobaye pour mieux comprendre notre relation compliquée avec ce produit, l’effet qu’il a sur le cerveau, pourquoi il prend autant de place sans nos vies, dans nos relations sociales, pourquoi sa consommation est aussi normalisée.
J’ai voulu comprendre ce qui se passait dans le cerveau quand on boit. Je me suis intéressée aux neurosciences. Nous sommes toutes et tous, en tant qu’êtres humains, conditionné.es par le circuit de la récompense, qui nous pousse à rechercher le plaisir et à éviter ce qui nous fait du mal.
J’avais aussi envie de dépasser la vision binaire prédominante, alcoolique, pas alcoolique, qui est très réductrice et qui empêche un très grand nombre de gens de se poser des questions. Avoir une relation compliquée avec l’alcool, un produit très addictif, ne signifie pas qu’on est malade, c’est un phénomène universel. Qu’est-ce qu’un.e bon.ne buveur/buveuse ? Qui peut toujours faire la différence entre un verre plaisir et un verre besoin ?
Je voulais aussi dédramatiser, en parler avec humour. C’était important pour moi de faire sourire (voire rire, j’espère) les lecteurs.
Dans Jour zéro, vous racontez les réactions de vos proches lorsque vous leur annoncez que vous arrêtez l'alcool. Quels étaient leurs retours ?
L’étonnement, la surprise. J’ai beaucoup entendu : "tu es enceinte", "tu es malade ?" "Mais pourquoi tu arrêtes, tu n’es pas alcoolique pourtant, allez prends un petit verre !" La sobriété rend bizarre, étrange. Tout le monde va tenter de trouver des explications à notre décision ou de se projeter. C’est un peu comme si on renvoyait malgré soi un miroir aux autres. Je devinais que certains se disaient : mais si elle arrête, cela veut dire que je devrais aussi m’arrêter. Certains m’ont d’ailleurs dit "tiens, c’est drôle moi aussi je me pose des questions, j’ai envie de limiter ma consommation". Globalement, ça suscitait soit la curiosité, soit la panique.
Egalement dans votre livre, vous faites un lien entre l'alcool et le rapport au corps. Quel est-il ?
L’alcool facilite les rapports de séduction. Vous draguez plus facilement, vous avez moins d’inhibitions, pour le meilleur et pour le pire. Cela permet aussi d’oublier ses complexes, de réconcilier temporairement les injonctions contradictoires qu’on reçoit en tant que femme. Ouvrez votre gueule, mais sachez rester discrètes. Soyez minces, mais sans faire de régime. Travaillez dur, ne montrez pas trop votre ambition. Faites plaisir aux hommes. Recherchez leur validation ainsi que celle de la société dans son ensemble. Mais soyez indépendantes. Soyez carriéristes, mais ayez des enfants. Faites comme si tout était facile.
Y a t-il une addiction au féminin ?
Je ne pense pas qu’il y ait une différence entre l’addiction au masculin et au féminin. Les processus neuronaux sont les mêmes. Les causes ne sont pas très différentes non plus, manque de confiance en soi, envie de s’amuser, etc. La seule différence se situe peut être dans les effets. Il y a cette citation dans le livre "Si un homme a un trou noir il s’en prend aux autres. Si une femme a un trou noir, on s’en prend à elle."
Finalement, si vous deviez donner un conseil aux femmes qui souhaitent arrêter l'alcool, quel serait-il ?
Vous êtes l’experte de votre propre vie. Personne d’autre ne peut vous dire ce qu’il faut faire. Comprendre pourquoi et comment on boit, comprendre ce que ça nous fait, physiquement, psychologiquement, c’est déjà un premier pas énorme, ça nous redonne une grande part de liberté dans nos choix de consommation.
Le livre
Jour zéro, de Stéphanie Braquehais, paru aux éditions de l'Iconoclaste