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Interview

"Il faut rendre à la sexualité sa globalité", l'appel émancipateur de Laura Berlingo

Laura Berlingo
"La révolution sexuelle ne se limite pas au plaisir féminin !" Laura Berlingo
Pierre Hybre MYOP
Ah l'Amour !
Adèle Gireau
Par Adèle Gireau
Publié le 24 avril 2021

Le retentissement de son livre dans la sphère féministe est à la hauteur de ses prises de parole : Laura Berlingo, gynécologue obstétricienne, réinvente dans son nouvel ouvrage Une sexualité à soi (ed Les Arènes) la vraie sexualité. La nôtre. Un discours libérateur mêlant médecine et sciences sociales.


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Gynécologue obstétricienne, Laura Berlingo est la professionnelle de santé féministe du moment. Intervenante dans des podcasts, active sur son compte Instagram @LauraBerlingo, elle est désormais l'autrice d'un livre essentiel pour comprendre la sexualité dans son ensemble : Une sexualité à soi, paru aux éditions Les Arènes.

FemininBio : Laura, vous êtes gynécologue, intervenez dans des podcasts et maintenant autrice du livre Une sexualité à soi (ed Arènes). Comment est venue cette envie de prendre la parole ?

Laura Berlingo : Pour ma part, ce sont des problématiques que j'aborde tous les jours en consultation puisque c'est mon métier, mais au-delà de ça, la sexualité (tout ce qui englobe la santé sexuelle et reproductive) est un fait social. Ce sujet concerne tout le monde, que l'on ait des rapports sexuels ou pas, que l'on veuille des enfants ou pas, que l'on soit victime de violences ou pas. Prendre la parole sur une telle thématique, c'est surpasser la posture plombante de la médecine traditionnelle qui veut que seul le personnel soignant soit détenteur du savoir, c'est partager mes connaissances au plus grand nombre. Je suis pour l'appropriation des savoirs, surtout quand ils sont gynécologiques et obstétricaux. A travers les podcasts, le livre et mon Instagram, je souhaite créer des espaces de réflexion autour de sujet qui me tiennent à coeur, que l'on peut sculpter tous ensemble.

Quelle mission avez-vous donnée à votre ouvrage ?

C'est un essai hybride, à mon image. Je suis gynécologue mais pas que, je suis femme, mère de deux enfants, en couple hétérosexuel, et je suis féministe. C'est un ouvrage qui fait le lien entre toutes mes identités, qui s'appuie sur ma pratique tout en y incorporant des savoirs théoriques issus des sciences sociales. Ce n'est pas un livre de recette ou de développement personnel dans lequel on va trouver des solutions, il va plutôt saisir les sujets, les questionner, soulever des questions où chacun.e doit répondre à sa manière, car il n'y a pas une réponse universelle sur la sexualité.

Depuis le mouvement #MeToo, le sujet de la sexualité devient de plus en plus récurrent et laisse place à une parole beaucoup plus libérée. Pourtant, dans votre livre, vous dites que la révolution sexuelle n'a pas eu lieu. Pourquoi selon vous ?

Ce que l'on appelle le plus souvent "révolution sexuelle" est celle des années 1970. De nombreux ouvrages de sociologie ont bien montré que ce mouvement était plus un renouvellement des injonctions sexuelles plutôt qu'une révolution, passant de "la femme doit se garder de tout rapport avant le mariage" à "la femme doit se donner pour être une femme libérée". On ne peut pas dire que la sexualité soit libérée, au sens "jouir sans entrave" comme le disaient les militantes dans les années 1970 mais plutôt car nous commençons à nous poser les bonnes questions, et à revoir les rapports de domination.

On pourrait donc parler d'une sexualité libérée, non pas d'un point de vue purement individuel mais bien sur les rapports sociaux qui la traversent.

Oui, nous assistons ces dernières années à une libération de la parole, notamment sur les violences sexuelles avec le #MeToo Gay, #MeToo Inceste etc. ainsi que sur le plaisir féminin. Le clitoris est devenu l'étendard des féministes. Ces tabous sont enfin levés, néanmoins, et c'est là où ma réflexion me pousse à dire que la sexualité n'est pas libérée, le débat doit être nuancé. La révolution sexuelle ne se limite pas au plaisir féminin ! Il n'y a pas que les femmes, il y a aussi les minorités sociales et de genre, les hommes, et surtout, pas que le sexe. Si on considère la sexualité de manière trop parcellaire, nous n'arriverons jamais véritablement à la libérer.

Selon vous, la sexualité est une clé du changement social. Faut-il passer par le partage, l'expérience commune pour se construire personnellement ?

Ce qu'il faut retenir, c'est que nous avons une capacité d'agir. Les rapports de domination persistent, mais nous avons davantage les capacités de les réfléchir, les penser et donc essayer de les modifier. Et cette capacité d'agir se passe bien sûr au niveau individuel, on peut se construire son propre avis, mais mettre ses expériences en commun, en parler autour de soi, sensibiliser les moins informés, et à plus grande échelle, en parler dans les médias, les institutions est d'autant plus important pour que le monde change. On modifie son environnement, et l'environnement nous change en retour, c'est un cercle vertueux, du moins j'aime le voir comme ça (rires).

A l'avenir, quelles doivent-être les principales prises de conscience ?

J'aime bien parler des jeunes, car, en toute logique, ils sont l'avenir. Alors oui les changements doivent venir des individus et la jeune génération l'a bien compris, mais il faut aussi des institutions, médicales, scolaires, et gouvernement en harmonie avec ce discours. Etablir des politiques de santé publique autour de la sexualité qui soient ambitieuses. Les trois séances d'éducation à la sexualité dans les collèges et lycées par an ne sont toujours pas respectées...

Je milite pour une incorporation des sciences humaines et sociales dans les études de médecine.

Pour l'institution médicale, je milite pour une incorporation des sciences humaines et sociales dans nos études. Avoir un point de vu purement biologique est insuffisant, et encore plus quand on parle de ces sujets profondément sociaux.

Avez-vous d'autres projets en lien avec la sexualité ?

Je suis médecin à l'hôpital de la Pitié Salpétrière à Paris, et à court terme, nous aimerions monter une structure sur ce que l'on appelait historiquement le centre de planification familiale de la pitié, qui serait un centre de santé sexuelle de lutte contre les violences. Le but est de faire le lien entre des soins de santé sexuelle, notamment au niveau de la contraception et l'éducation à la sexualité, et la prévention et prise en charge des violences.

J'aimerai également monter, éventuellement, un diplôme universitaire de santé sexuelle, qui associerait médecine et biologie aux sciences humaines et sociales pour former le corps médical et de l'éducation, pour rendre à la sexualité sa globalité.

Le livre

Une sexualité à soi, Laura Berlingo, éditions Les Arènes
(©Les Arènes)

Une sexualité libérée, par Laura Berlingo, paru aux éditons Les Arènes

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